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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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ASSASSINAT DE GUILLAUME
DIT LONGUE ÉPÉE,
SECOND DUC DE NORMANDIE.

Guillaume, second duc de Normandie, prince très-pieux en son temps, périt d'une manière tragique, qui donne une idée des mœurs de cette époque.

Arnoul, comte de Flandre, avait surpris par intelligence la ville de Montreuil, qui appartenait à Hersuin, comte de Ponthieu. Hersuin s'adressa, pour avoir du secours, à Guillaume, duc de Normandie, qui alla sur-le-champ reprendre Montreuil, passa tous les habitans de cette ville au fil de l'épée, la munit de nouvelles fortifications, et la rendit à son maître, en 941.

Le comte de Flandre, piqué d'un semblable affront, et ne pouvant s'en venger à force ouverte, eut recours à la trahison.

Il envoya au duc Guillaume, une ambassade chargée de l'excuser d'avoir attaqué Hersuin, et d'alléguer qu'il ignorait l'alliance et l'amitié qui unissait ce comte au duc de Normandie. Les ambassadeurs d'Arnoul avaient aussi mission de remettre à l'arbitrage du duc Guillaume, le différent qui existait entre Hersuin et lui. Guillaume acquiesça à toutes leurs demandes; et comme le comte Arnoul était goutteux, et ne pouvait chevaucher, le duc de Normandie se rendit jusqu'à Amiens, accompagné d'Hersuin, seigneur de Montreuil, de Beranger et Alain, comtes de Bretagne, et d'autres seigneurs.

Hersuin avertit Guillaume de se tenir en garde contre le comte de Flandre. Celui-ci se fondant sur ses forces, tint peu de compte de cet avertissement, pour son malheur. Arnoul invita Guillaume à se rendre à Pecquigny, au-dessous d'Amiens; chacun s'y rendit avec sa suite; Arnoul était d'un côté de la Somme, Guillaume de l'autre. Au milieu de cette rivière était une île dans laquelle les deux princes devaient conférer ensemble, accompagnés chacun de douze chevaliers. Le comte de Flandre, pour mieux marquer au duc la confiance qu'il avait en lui, ne se fit accompagner que de quatre chevaliers, et de deux domestiques sur lesquels il marchait appuyé, sous prétexte de sa goutte. Tous les articles de paix arrêtés, chacun remonta dans son bateau, après avoir échangé les protestations de la plus sincère amitié. Mais à peine le duc eût-il démarré le sien (car il était seul dans un bateau, et ses chevaliers dans un autre), un chevalier normand, nommé Bause-le-Court, neveu de Rioul, comte de Cotentin, accompagné de plusieurs soldats d'Arnoul, rappela le duc Guillaume, lui disant: «Monseigneur, le comte Arnoul veut encore parler à vous; il a oublié quelque chose à vous dire qui vous sera agréable; sortez du bateau, laissez passer vos gens, le bateau vous reviendra quérir.» Guillaume, plein de confiance dans les semblants d'amitié d'Arnoul, ne soupçonnant aucune trahison, commanda au batelier de retourner à l'île qu'ils venaient de quitter. Mais sitôt qu'il eut fait quelques pas dans l'île, Bause-le-Court, haussant un aviron qu'il tenait, en asséna un grand coup sur la tête de Guillaume, et l'abattit sans mouvement. A l'instant les autres complices s'élancèrent sur le duc, et le frappèrent de tant de coups d'épée et de dague, qu'ils le mirent à mort; puis ils allèrent rejoindre le comte Arnoul qui avait déjà traversé la rivière. Les gens du duc Guillaume, placés à l'autre rive, eurent la douleur de voir massacrer leur prince, sans pouvoir lui porter secours assez à temps. Ils se hâtèrent néanmoins de traverser la Somme, et trouvèrent Guillaume encore tout palpitant, qui rendit le dernier soupir entre leurs bras. Son corps fut transféré à Rouen, et inhumé dans l'église de Notre-Dame de cette ville. Cet événement arriva en l'an 942.


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