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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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CRIMES DE LOUIS XI,
ROI DE FRANCE.
SUPPLICE DE JACQUES D'ARMAGNAC,
DUC DE NEMOURS.

Le règne de Louis XI ne rappelle partout que de tristes et pénibles souvenirs. «Les temps précédens, dit Voltaire, avaient inspiré des mœurs fières et barbares dans lesquelles on vit éclater quelquefois de l'héroïsme. Le règne de Charles VII avait eu des Dunois, des La Trémouille, des Clisson, des Richemont, des Saintrailles, des Lahire, et des magistrats d'un grand mérite; mais sous Louis XI pas un grand homme. Il avilit la nation. Il n'y eut nulle vertu; l'obéissance tint lieu de tout, et le peuple fut enfin tranquille comme les forçats le sont dans une galère. Ce cœur artificieux et dur avait pourtant deux penchans qui auraient dû mettre de l'humanité dans ses mœurs: c'était l'amour et la dévotion. Il eut des maîtresses, il eut trois bâtards; il fit des neuvaines et des pèlerinages. Mais son amour tenait de son caractère, et sa dévotion n'était que la crainte superstitieuse d'une âme timide et égarée. Toujours couvert de reliques et portant à son bonnet sa Notre-Dame de plomb, on prétend qu'il lui demandait pardon de ses assassinats avant de les commettre. Il donna par contrat le comté de Boulogne à la sainte Vierge. La piété ne consiste pas à faire la Vierge comtesse, mais à s'abstenir des actions que la conscience reproche, que Dieu doit punir, et que la Vierge ne protége point.»

Louis XI, fils de Charles VII, fut le premier roi absolu en Europe depuis la chute de l'empire de Charlemagne. Sa vie fut une longue trame de perfidies et de crimes. Fils dénaturé, frère barbare, mauvais père, despote sanguinaire, il sut réunir dans son cœur tous les penchans les plus pervers.

Il remplit d'amertume les dernières années de la vie de son père: il fut l'auteur de sa mort. Le malheureux Charles VII mourut par la crainte que son fils n'attentât à ses jours; le poison qu'il redoutait fit qu'il se laissa mourir de faim. Une telle crainte de la part d'un père prouve suffisamment contre le caractère du fils.

Parjure à tous ses sermens, à moins qu'il ne jurât par un morceau de bois qu'on appelait la vraie croix de Saint-Laud, on le vit, après le traité de Conflans, faire jeter dans la Seine plusieurs bourgeois de Paris qu'on soupçonnait d'être attachés à la ligue dite du bien public qui s'était formée contre lui. On liait ces malheureux deux à deux dans un sac, et on les plongeait ainsi dans le fleuve.

Comme il redoutait son frère, le duc de Guienne, il ne balança pas à s'en défaire; il le fit empoisonner presque en sa présence par un moine bénédictin, nommé Favre Vesois, confesseur de ce prince. Cet empoisonnement n'est point un de ces prétendus crimes qu'invente souvent la malignité humaine, surtout à l'occasion de la mort des grands. Le duc de Guienne avait pour maîtresse la comtesse de Montsoreau, une des plus belles et des plus aimables femmes de son temps. Le prince soupait un jour entre cette dame et son confesseur; à la fin du repas, le moine présenta au duc une pêche dont on admira la grosseur et la beauté; elle était empoisonnée. Presque aussitôt après en avoir mangé, la comtesse de Montsoreau mourut, et le prince tomba dans d'affreuses convulsions, auxquelles il succomba peu de temps après. Odet Daidie, brave seigneur, fidèlement attaché au duc de Guienne, voulut faire punir l'empoisonneur. Il se saisit de la personne du moine, et le conduisit loin de Louis, en Bretagne, pour qu'on lui fît son procès. Mais le jour qu'on devait prononcer la sentence de ce moine, on le trouva mort dans son lit. Pour imposer à la clameur publique qui l'accusait de ce crime, Louis XI se fit apporter les pièces du procès, et nomma des commissaires; mais ceux-ci, fidèles observateurs de leurs instructions secrètes, ne décidèrent rien, et furent comblés de bienfaits par le monarque.

Ce qui prouve la bassesse de son âme, c'est qu'il prenait ordinairement dans la fange ses confidens les plus intimes, ses ministres les plus importans. Ainsi Olivier-le-Daim ou le Diable, son barbier, était en même temps l'homme le plus puissant et le plus redouté de la cour; et Louis XI appelait son compère le trop fameux Tristan, grand prevôt des archers, dont il faisait sa société habituelle. Ces deux misérables, complaisans ministres des vengeances de leur maître, étaient en horreur à tous les gens de bien. Ce Tristan ne se contentait pas d'obéir quand on lui commandait d'ôter la vie à des hommes qui n'avaient été convaincus d'aucun crime, mais encore il le faisait avec une précipitation singulièrement barbare. Il arrivait souvent de là que, afin de réparer ses méprises, il fallait qu'il tuât deux personnes au lieu d'une.

Louis XI fut un des plus cruels tyrans des temps modernes. Il y en a peu qui aient fait périr plus de citoyens par les mains des bourreaux et par des supplices plus recherchés. On a évalué à quatre mille le nombre de ses sujets mis à mort par ses ordres, soit publiquement, soit en secret. Philippe de Comines a donné une effrayante description des prisons qu'il avait fait construire, espèces de cages de fer qu'il appelait ses fillettes. Cet historien rapporte qu'elles étaient de bois, couvertes de pattes de fer; qu'il avait fait faire à des Allemands des fers très-pesans et terribles pour mettre au pied, et y était un anneau pour mettre au pied, fort malaisé à ouvrir comme un carcan, la chaîne grosse et pesante, et une grosse boule de fer au bout, beaucoup plus pesantes que n'était de raison, et les appelait-on les fillettes du roi. Ce monstre se plaisait souvent à être spectateur des supplices qu'il ordonnait. La plupart des victimes étaient exécutées sans forme de procès, plusieurs noyées une pierre au cou, d'autres précipités en passant sur une bascule d'où elles tombaient sur des roues armées de pointes et de tranchans, d'autres étouffées dans les cachots; Tristan, son compère, était lui seul le juge, les témoins et l'exécuteur. Les avenues de son château de Plessis-les-Tours offraient un spectacle bien digne de repaître ses yeux. On y voyait un grand nombre de gens pendus aux arbres, et les maisons circonvoisines étaient autant de prisons d'où sortaient nuit et jour les cris et les gémissemens de malheureux prisonniers en proie aux plus cruelles tortures.

Mais le supplice le plus mémorable dont Louis XI fût l'ordonnateur, est celui de Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, descendant reconnu de Clovis.

«Les circonstances et l'appareil de sa mort (1477), le partage de ses dépouilles, les cachots où ses jeunes enfans furent enfermés jusqu'à la mort de Louis XI, sont, dit l'auteur de l'Essai sur les mœurs, de tristes et intéressans objets de la curiosité. On ne sait point précisément quel était le crime de ce prince. Il fut jugé par des commissaires, ce qui peut faire présumer qu'il n'était pas coupable. Quelques historiens lui imputent vaguement d'avoir voulu se saisir de la personne du roi et faire tuer le dauphin. Une telle accusation n'est pas croyable; un petit prince ne pouvait guère, du pied des Pyrénées où il était réfugié, prendre prisonnier Louis XI, en pleine paix, tout-puissant et absolu dans son royaume. L'idée de tuer le dauphin encore enfant, et de conserver le père, est encore une de ces extravagances qui ne tombent point dans la tête d'un homme d'état. Tout ce qui est bien avéré, c'est que Louis XI avait en exécration la maison des Armagnacs; qu'il fit saisir le duc de Nemours dans Carlat, en 1477; qu'il le fit enfermer dans une cage de fer à la Bastille; qu'ayant dressé lui-même toute l'instruction du procès, il lui envoya des juges parmi lesquels était ce Philippe de Comines, célèbre traître, qui, après avoir long-temps vendu les secrets de la maison de Bourgogne au roi, passa enfin au service de la France, et dont on estime les mémoires, quoique écrits avec la retenue d'un courtisan qui craignait encore de dire la vérité, même après la mort de Louis XI.»

Le roi voulut que le duc de Nemours fût interrogé dans sa cage de fer, qu'il y subît la question et qu'il y reçût son arrêt. On le confessa ensuite dans une salle tendue de noir. La confession commençait à devenir une grâce accordée aux condamnés; l'appareil noir était en usage pour les princes. C'est ainsi qu'on avait exécuté Conradin à Naples, et qu'on traita depuis Marie Stuart en Angleterre. On était barbare en cérémonie chez les peuples chrétiens occidentaux, et ce raffinement d'inhumanité n'a jamais été connu que d'eux; toute la grâce que ce malheureux prince put obtenir, ce fut d'être enterré en habit de cordelier, grâce digne de la superstition de ces temps atroces qui égalait leur barbarie.

Mais ce qui ne fut jamais en usage, et ce que pratiqua Louis XI, ce fut de faire mettre sous l'échafaud, dans les halles de Paris, les jeunes enfans du duc, pour recevoir sur eux le sang de leur père. Ils en sortirent tout couverts; et en cet état on les conduisit à la Bastille, dans des cachots faits en forme de hottes, où la gêne que leurs corps éprouvaient était un continuel supplice. On leur arrachait les dents à plusieurs intervalles. Ce genre de tortures aussi petit qu'odieux était en usage..... Le détail des tourmens inouïs que souffrirent les princes de Nemours serait incroyable s'il n'était attesté par la requête que ces princes infortunés présentèrent aux états, après la mort de Louis XI, en 1483.»

Pendant le cours du procès du duc de Nemours, si toutefois on doit appeler procès cet horrible assassinat, Louis XI avait changé plusieurs fois les juges et même le lieu des séances. Après le jugement, il cassa quatre conseillers au parlement qu'il avait trouvés disposés à adoucir la peine, et il écrivit au parlement tout entier en ces termes: «Je pensais, vu que vous êtes sujets de la couronne de France et y devez votre loyauté, que vous ne voulussiez approuver que l'on fît si bon marché de ma peau, et parce que je vois par vos lettres que si faites, je connais clairement qu'il y en a encore qui volontiers seraient machineurs contre ma personne; et afin d'eux garantir de la punition, ils veulent abolir l'horrible peine qui y est: par quoi sera bon que je mette remède à deux choses; la première, expurger la cour de telles gens; la seconde, faire tenir le statut que jà une fois en ai fait, que nul en ça ne puisse alléger les peines de crime de lèze-majesté.» Cette lettre porte avec elle son commentaire; elle semble avoir été écrite par une plume altérée de sang humain.

M. Casimir Delavigne, dans sa tragédie de Louis XI, a donné un tableau remarquable du supplice de l'infortuné Jacques d'Armagnac. Comines exhorte le jeune Nemours à renoncer à son ressentiment, à réconcilier Louis XI avec le duc de Bourgogne dont il est l'envoyé. Cédez, lui dit-il,

Cédez, le roi pardonne, et va tout oublier.

Nemours lui fait cette réponse du pathétique le plus touchant:

Oublier! lui! qu'entends-je? oublier! quoi? son crime,

Ce supplice inconnu, l'échafaud, la victime?

Quoi! trois fils à genoux sous l'instrument mortel,

Vêtus de blancs tous trois comme aux pieds de l'autel?

On nous avait parés pour cette horrible fête.

Soudain le bruit des pas retentit sur ma tête.

Tous mes membres alors se prirent à trembler,

Je l'entendis passer, s'arrêter, puis parler.

Il murmura tout bas ses oraisons dernières;

Puis prononçant mon nom et ceux de mes deux frères:

Pauvres enfans! dit-il, après qu'il eut prié;

Puis, plus rien. O moment d'éternelle pitié!

Tendant vers lui mes mains pour l'embrasser sans doute,

Je crus sentir des pleurs y tomber goutte à goutte;

Les siens... Non, non, ses yeux éteints dans les douleurs,

Ses yeux n'en versaient plus, ce n'étaient pas des pleurs,

C'était du sang, du sang, celui d'un père.

Louis XI, ce roi assassin de ses sujets, placé au-dessus de la justice des hommes, commença à expier en partie ses forfaits dès cette vie, par les maux qui assaillirent sa vieillesse. Renfermé au château du Plessis-les-Tours, inaccessible à ses sujets, dévoré d'ennui, d'inquiétudes, de remords et de craintes, il n'offrait plus aux yeux de ses gardes que le spectacle d'un spectre ambulant. La terreur de la mort le poursuivait sans cesse, et pour ranimer les restes de sa vie presque éteinte, il s'abreuvait du sang qu'on tirait à des enfans, dans la fausse espérance de corriger l'âcreté du sien.

Tel est, en raccourci, le tableau des crimes de ce monarque qui, le premier des rois de France, prit toujours le nom de très-chrétien, et qui appelait la sainte Vierge sa PETITE MAITRESSE, sa GRANDE AMIE.


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