Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
ACTE DE JUSTICE
DE LA REINE BLANCHE,
MÈRE DE SAINT-LOUIS.
Le régime féodal enfanta une foule de crimes que la puissance des coupables étouffait dans le silence du despotisme. L'habitude d'envahir, d'usurper, était si générale parmi les laïques et les ecclésiastiques, qu'ils prenaient les uns envers les autres les précautions les plus scrupuleuses. Si des inférieurs, des habitans d'un village, pour obtenir la bienveillance de leurs supérieurs, s'avisaient de leur rendre un service, de leur faire un présent; ces habitans, ainsi que toute leur postérité, recevaient, au lieu de preuves de reconnaissance, un châtiment presque semblable à celui des Danaïdes. Ce service ou ce présent était, par la suite, converti en redevance annuelle et perpétuelle, et les seigneurs forçaient à payer toujours ce qu'on leur avait librement donné une fois. En cas de refus, il n'était pas de cruautés qu'ils n'employassent pour se faire obéir.
Voici un trait que nous trouvons dans l'Histoire de Paris de M. Dulaure, et qui pourra donner une idée de l'état de servitude dans lequel les évêques et les moines tenaient les habitans des villages dont ils étaient seigneurs.
Vers l'an 1252, le chapitre de Notre-Dame de Paris imposa sur plusieurs villages dont il était seigneur, une contribution nouvelle; les habitans de Châtenai refusèrent de la payer; alors le chapitre fit arrêter, traîner à Paris, et jeter dans une prison très-étroite, tous les hommes de ce village; ils pouvaient à peine s'y mouvoir, manquaient de tout, même de l'air respirable.
La reine Blanche, mère de Saint-Louis, instruite de l'état des prisonniers, envoya auprès des chanoines pour les prier de mettre ces malheureux en liberté, et s'offrit même de les cautionner. A cette demande, les chanoines répondirent fièrement que personne n'avait droit de se mêler des intérêts de leurs sujets, qu'ils pouvaient les faire mourir s'il leur plaisait, et, pour braver la reine, avec laquelle ils étaient en procès, ils ordonnèrent aussitôt l'arrestation des femmes et des enfans des prisonniers, et les firent entasser dans la même prison.
Comprimés les uns par les autres, exténués par la chaleur, la soif et la faim, empoisonnés par leurs propres exhalaisons, ils périssaient, lorsque la reine, instruite de ce nouvel acte de cruauté, pénétrée d'indignation, arrive, suivie de quelques serviteurs, à la porte de la prison, et ordonne qu'elle soit enfoncée. On n'ose lui obéir, on craint de porter atteinte aux droits de l'église; on redoute ses censures. La reine impatientée et violente par caractère, frappe d'un coup de canne cette porte si respectée: le prestige est détruit; on imite la reine, et bientôt la porte est brisée.
Aussitôt, de cet affreux réduit, on voit s'élancer une foule d'hommes, de femmes, d'enfans, pâles, défigurés, tombant d'inanition, accablés par la souffrance, et qui, craignant d'être encore exposés au même supplice, se jettent aux pieds de la reine et implorent sa protection. Leur libératrice les rassura, et parvint dans la suite à les affranchir des chaînes de ce hideux esclavage.