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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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LE CHIEN VENGEUR DE SON MAITRE,
OU LE JUSTE JUGEMENT DE DIEU.

Tout le monde connaît l'histoire touchante du chien de Montargis. Le théâtre en a popularisé la mémoire. Nous lui donnons place ici, non seulement parce qu'elle mérite d'être conservée à cause de l'intérêt qui s'y rattache, mais encore parce qu'elle est un monument des mœurs du temps. Le fait eut lieu sous Philippe-Auguste ou sous Louis VII, suivant Saint-Foix.

Guillaume Morin, dans son histoire générale du pays de Gâtinais, dit très-formellement que le combat du chien et de l'assassin eut lieu en présence du roi Charles VIII. Quoi qu'il en soit, ce trait historique est rapporté par beaucoup d'auteurs, entre autres Expilly, avocat-général au parlement de Grenoble; Olivier de la Marck, dans son Traité des duels, et Jules-César Scaliger.

Aubry de Montdidier, traversant seul la forêt de Bondi, fut assassiné et enterré au pied d'un arbre. Son chien resta plusieurs jours sur sa fosse, et ne la quitta que pressé par la faim. Il vint à Paris chez un ami du malheureux Aubry, et par ses tristes hurlemens, sembla vouloir lui annoncer la perte qu'il avait faite. Après avoir mangé, il recommence ses cris plaintifs, va à la porte, tourne la tête pour voir s'il est suivi, revient à l'ami de son maître, et le tire par son vêtement, comme pour l'inviter à venir avec lui. La singularité de tous les mouvemens de ce chien, sa venue sans son maître, qu'il ne quittait jamais, ce maître qui ne paraît pas, et peut-être ce hasard, ou plutôt cette juste Providence, qui ne permet guère que le crime demeure impuni, firent que l'ami d'Aubry conçut quelque soupçon sinistre, et suivit le chien. Dès que ce pauvre animal fut arrivé au pied de l'arbre, il redoubla ses cris en grattant la terre, comme pour indiquer qu'il fallait creuser en cet endroit; on y fouilla, et l'on y trouva le corps du malheureux Aubry.

Quelque temps après, le chien reconnaît, dans une foule, l'assassin de son maître, que tous les historiens nomment le chevalier Macaire; il lui saute à la gorge, et ce n'est qu'avec beaucoup de peine qu'on lui fait lâcher prise. Chaque fois qu'il le rencontre, il l'attaque et le poursuit avec le même acharnement. On remarque la fureur de cet animal, naturellement doux, à la seule vue de Macaire; on se rappelle l'attachement qu'il avait montré pour son maître; on rapproche de ces faits plusieurs circonstances où ce chevalier Macaire avait manifesté de la haine et de l'envie à l'égard d'Aubry de Montdidier. D'autres particularités viennent encore fortifier les soupçons.

Le roi, informé de tous les discours qui se tenaient à cette occasion, fait amener ce chien, qui paraît tranquille jusqu'au moment où, apercevant Macaire au milieu d'une troupe de courtisans, il tourne, aboie, et cherche à se jeter sur lui.

Dans ces temps-là, on ordonnait le combat entre l'accusateur et l'accusé, lorsque les preuves du crime n'étaient pas convaincantes. On nommait ces sortes de combats jugemens de Dieu, parce qu'on était persuadé que le ciel aurait plutôt fait un miracle que de laisser succomber l'innocence. Le roi, frappé de tous les indices qui se réunissaient contre Macaire, jugea qu'il échéait gage de bataille, c'est-à-dire qu'il ordonna le duel entre le chevalier et le chien. L'île Notre-Dame, terrain alors vague et inhabité, fut indiquée pour servir de champ clos. Macaire était armé d'un gros bâton; le chien avait un tonneau pour sa retraite et ses relancemens. On le lâche; aussitôt il s'élance, tourne autour de son adversaire, évite ses coups, l'attaque tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, le fatigue, et enfin le saisit à la gorge, le renverse, et l'oblige de faire l'aveu de son crime en présence du roi et de toute la cour.

D'après Saint-Foix, qui nous a fourni tous ces détails, un monument de cette aventure a subsisté long-temps sur une des cheminées de la grande salle du château de Montargis.

«On ne sera point étonné, ajoute Saint-Foix, que ce chien ait resté plusieurs jours sur la fosse de son maître, ni qu'il ait marqué de la fureur à la vue de son assassin: mais la plupart des lecteurs ne voudront pas croire qu'on ait ordonné le duel entre un homme et un chien; il me semble cependant que, pour peu qu'on ait parcouru l'histoire et vécu dans le monde, on doit être tout au moins aussi persuadé des travers de l'esprit humain que du bon cœur des chiens.»

L'attachement du chien à son maître est attesté par une foule d'aventures étonnantes. L'histoire de ce fidèle animal s'est quelquefois mêlée à l'histoire même de l'homme. Homère ne dédaigne pas de parler, dans l'Odyssée, du chien d'Ulysse, qui fut le premier à reconnaître son maître; et l'Écriture-Sainte parle du chien de Tobie.

M. Bodin, dans ses Recherches historiques sur l'Anjou, parle d'un monument que le maréchal de Gié avait élevé en mémoire d'un chien. Le maréchal avait fait autrefois, dit-il, un pèlerinage à Saint-Jacques en Galice, et il y avait mené un chien qu'il aimait beaucoup, mais il le perdit en revenant. Déjà plusieurs mois s'étaient écoulés depuis le retour du seigneur du Verger, lorsqu'un jour, se promenant sur l'ancienne grande route de Paris à Angers, il aperçut son chien accourant vers lui. Le fidèle barbet saute au cou de son maître, lui lèche les mains, et tombe aussitôt à ses pieds, où il expire de fatigue et de joie. Le maréchal fut très-sensible à la perte de ce bon animal, et ce fut pour en perpétuer le souvenir qu'il fit construire l'obélisque dont on voit encore les ruines, à l'endroit même où il avait reçu ses derniers témoignages d'attachement et de fidélité.

Les annales de notre révolution offrent aussi de nombreux exemples de fidélité donnés par des chiens. Delille, dans son poème de la Pitié, célèbre le dévouement de cet intéressant animal. Tout Paris a pu voir, après les journées de juillet 1830, un pauvre chien qui stationnait jour et nuit sur la tombe des combattans morts inhumés en cet endroit. On ne pouvait entendre sans attendrissement les hurlemens plaintifs de ce pauvre chien demandant son maître à tous les passans.


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