Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
CAUSE DE MEURTRE
PLAIDÉE DEVANT HENRI IV
Un jeune homme, nommé Jean Prost, avait été envoyé à Paris par sa mère pour y faire ses études en droit. Il se logea en chambre garnie chez un nommé Boulanger. Ce jeune homme, ayant reçu de sa mère une somme assez considérable, disparut tout-à-coup. La justice, informée de cette disparition, se transporta dans la chambre de Prost, trouva ses coffres enfoncés et l'argent enlevé; on arrêta Boulanger et on instruisit son procès. A l'interrogatoire il soutint toujours qu'il ignorait ce que Prost était devenu, et qu'il n'avait eu aucune part au vol de son argent. Les enfans de Boulanger furent aussi arrêtés; ils déposèrent que, le lendemain de la disparition de Prost, ils avaient vu deux inconnus s'introduire dans sa chambre; le plus jeune ajouta que le même jour Boulanger, son père, avait enlevé l'argent de Prost, et l'avait porté chez son beau frère, qui l'avait caché dans un endroit qu'il indiqua. Tous ces faits se trouvèrent conformes à la vérité; Boulanger fut condamné à la question ordinaire et extraordinaire; il la soutint sans faire aucun aveu, et fut mis en liberté, à la charge de se représenter en justice toutes les fois qu'il en serait requis.
A quelque temps de là, trois Gascons, voleurs de profession, furent arrêtés dans Paris. La justice les condamna à être pendus pour un vol fait avec effraction. Celui qui devait être exécuté le dernier, voyant son tour arrivé, déclara, avant de monter au gibet, que Boulanger était innocent du meurtre de Jean Prost; que c'était lui qui avait commis ce crime, de concert avec l'un de ses deux camarades que l'on venait d'exécuter. Ils avaient appris que la mère du jeune Prost lui avait envoyé de l'argent, et s'étaient promis de se rendre maîtres du numéraire en question. Mais comme en assassinant Prost dans sa chambre, le bruit qu'il aurait fait en se défendant aurait pu les déceler et les faire prendre en flagrant délit, ils résolurent de l'attendre le soir dans la rue et de le tuer; le voleur ajouta que s'étant défait du jeune homme comme ils l'avaient projeté, ils étaient montés, sans bruit, dans sa chambre dont ils avaient pris la clef dans sa poche; qu'ils avaient forcé les coffres, mais que l'argent qu'ils y cherchaient, n'y était déjà plus.
On lui demanda ce qu'il avait fait du cadavre de Prost. Il répondit que son camarade et lui l'avaient jeté dans les latrines de la maison qu'ils habitaient ordinairement. On fit perquisition dans le lieu indiqué et l'on y trouva en effet les restes d'un cadavre.
Instruit de cette révélation, Boulanger présenta sa requête à la cour, par laquelle il demandait qu'on le déclarât innocent de l'assassinat et que la mère de Jean Prost, qui l'avait poursuivi comme assassin de son fils, fût condamnée à lui faire réparation d'honneur, avec dépens, dommages et intérêts.
Cette affaire fut plaidée vers le commencement de 1600. Le roi Henri IV et le duc de Savoie, qui se trouvait en France au sujet du marquisat de Saluces, assistaient à l'audience. Henri IV, après avoir entendu les plaidoyers des deux avocats adverses, fut si satisfait de leurs raisonnemens, que, dans l'incertitude où ils l'avaient jeté, il ne put que leur dire qu'ils avaient raison tous deux.
Par arrêt du 27 janvier 1600, Boulanger fut déclaré absous de l'assassinat; et sur la demande en dommages et intérêts, les parties furent mises hors de cour, sans dépens.