Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
INIQUITÉS DE BÉTISAC,
PUNIES PAR LE ROI CHARLES VI.
La démence de Charles VI fut un grand fléau pour la France; les premières années du règne de ce monarque avaient donné de belles espérances. Il s'occupait sincèrement et activement de la réforme des abus et des injustices. Dans un voyage qu'il fit en Languedoc, en 1389, il s'appliqua à purger le pays de divers tyrans qui l'opprimaient; et après les avoir fait citer, il ordonna qu'on les jugeât, et les fit condamner sans miséricorde. Il jugea lui-même une partie des affaires, et se réserva la connaissance des autres, qu'il n'eut pas le temps de terminer. Afin d'arrêter le cours des concussions et des vexations des financiers, des juges, et des autres officiers du pays, qui avaient ruiné les meilleures familles, fait déserter les villes, et désolé les campagnes, il les destitua tous, et nomma à leur place des gens d'honneur et de probité.
Jean Bétisac, natif de Béziers, secrétaire du duc de Berri, qui l'avait tiré de la lie du peuple pour lui donner toute sa confiance, commettait, à l'ombre de cette protection, une infinité de vexations et de brigandages dans la province, et principalement dans sa ville natale. On en fit des plaintes au roi, qui donna sur-le-champ des ordres pour qu'on informât contre cet officier.
Charles VI donna encore en cette circonstance une preuve de sévérité et de son amour pour la justice. Jean de Bétisac fut trouvé coupable d'avoir réduit une infinité de familles de la province à la mendicité par ses extorsions. Il avait levé injustement plus de trois millions de livres sur le peuple, et avait amassé, par des moyens iniques, des trésors immenses. Bétisac, pour sa justification, allégua les ordres qu'il avait reçus du duc de Berri, son maître, qui prit hautement sa défense, et envoya le sire de Nantouillet, et Pierre Mespin, chevaliers, pour avouer toutes les levées qu'il avait faites, et demander son élargissement.
Cette démarche du duc de Berri jeta les juges dans un grand embarras, parce que le roi avait donné au duc une autorité presque absolue dans le Languedoc. Heureusement que, dans l'intérêt de l'équité, Bétisac fut trouvé coupable d'autres crimes qui le firent condamner.
Le roi, après son arrivée à Toulouse, avait fait délivrer de prison Oudard d'Attainville, juge de cette ville, qui gémissait depuis deux ans sous le poids d'une fausse accusation. Oudard était un homme probe, qui ne devait son emploi qu'à son mérite; après son élargissement, il supplia le roi de faire revoir ce procès. Le roi accueillit sa requête, et nomma des commissaires pour y faire droit; on trouva que cet officier avait été accusé de malversation dans sa charge par des faux témoins, qui furent arrêtés; ils avouèrent qu'ils avaient été gagnés par Bétisac, qui avait conjuré la perte de ce juge.
Bétisac, interrogé, confessa qu'il avait suborné des témoins, parce que Oudard d'Attainville ayant condamné au feu un jeune gentilhomme, son complice, coupable du crime de sodomie, il voulait par là se dérober lui-même au supplice.
Indigné de ces actions infâmes, le conseil du roi condamna Bétisac à être brûlé vif, et l'exécution eut lieu à Toulouse, le 22 décembre 1389.