Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
LE COMTE SÉBASTIEN MONTÉCUCULLI,
CONDAMNÉ COMME EMPOISONNEUR DU DAUPHIN,
FILS DE FRANÇOIS Ier.
«Ce procès funeste, dit Voltaire, peut être mis dans la foule des cruautés juridiques que l'ivresse de l'opinion, celle de la passion, et l'ignorance, ont trop souvent déployées contre les hommes les plus innocens.»
Le dauphin François, fils de François Ier, jouait à la paume, à Lyon; il but beaucoup d'eau fraîche dans une transpiration abondante; il en résulta une pleurésie, ou une autre maladie du même genre, qui causa la mort du prince. Soudain le vulgaire, toujours crédule et souvent atroce dans ses conjectures, imputa sa mort à un empoisonnement. La cour adopta aussi cette présomption, soit par crédulité, soit par d'autres motifs encore moins excusables.
Bientôt les soupçons s'arrêtèrent sur le comte de Montécuculli, gentilhomme italien, échanson du dauphin, qui jouissait d'une grande faveur, et qui, par cela même, devait avoir beaucoup d'ennemis parmi les courtisans. C'était lui qui avait versé l'eau fraîche qu'avait bue le prince; on l'accusa de l'avoir empoisonné. Ce comte était né sujet de Charles-Quint; il lui avait parlé avant de venir à la cour de France; c'en était assez pour bâtir un complot. On arrêta Montécuculli, et on le mit à la torture.
Ce malheureux, vaincu par la douleur, avoua le crime qu'on lui imputait, et déclara qu'Antoine de Lève et Ferdinand de Gonzague, attachés tous deux à Charles-Quint, l'avaient porté à le commettre.
Outre la nullité d'un aveu arraché dans les tourmens de la question, si l'on apporte sur ce fait historique quelque esprit d'examen, on verra que ce prétendu crime est tout-à-fait dénué de fondement. D'abord Charles-Quint, à qui l'on n'a jamais pu reprocher aucune action qui ressemblât à une telle atrocité, n'avait aucun intérêt à commander l'empoisonnement du dauphin. Outre ce prince, François Ier avait deux autres fils, tous deux en âge de lui succéder, et il était lui-même dans la vigueur de l'âge. L'accusation était absurde: Montécuculli n'avait pas plus d'intérêt à la mort du dauphin; il était aimé de ce jeune prince, et attendait de son maître une grande fortune.
Les juges ne voulurent entrevoir aucune de ces raisons: ils avaient mission de trouver un empoisonneur et non de justifier l'accusé: ils condamnèrent Montécuculli. L'arrêt portait que le comte Sébastien Montécuculli, convaincu d'avoir empoisonné François, dauphin et duc propriétaire de Bretagne, fils aîné du roi, avec de la poudre d'arsenic sublimé, et de s'être mis en devoir d'empoisonner le roi lui-même, serait traîné sur la claie jusqu'au lieu de la Grenette, où il serait tiré et démembré à quatre chevaux.
Cet arrêt infâme fut exécuté à Lyon en 1536.
On prétendit que, lors de la visite des papiers de Montécuculli, on avait trouvé un traité de l'usage des poisons écrit de sa main, de la poudre d'arsenic sublimé, et le vase de terre rouge dans lequel il avait présenté au dauphin le breuvage qui lui avait donné la mort. Ces allégations après coup ne prouvent rien, surtout quand on sait que de pareils procès se faisaient à huis-clos et par des commissaires dont les noms étaient souvent ignorés du public.