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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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CRIMES ET PUNITION
DU MARÉCHAL DE RETZ.

Les cruautés commises au nom de la religion et de la politique ne sont que trop communes dans les histoires de toutes les nations. Souvent elles tiennent si étroitement à l'esprit des temps, elles comptent de si nombreux complices, qu'elles n'offrent aucun des caractères qui distinguent les crimes isolés. Elles n'en feront pas moins partie du cadre que nous nous sommes tracé. Déjà plusieurs traits de ce genre ont passé sous les yeux du lecteur. Mais des sacrifices de victimes humaines, faits en l'honneur du démon, pour en obtenir des richesses, quoique marqués du signe d'une crédule superstition, méritent d'être signalés à part comme de tristes preuves des atrocités auxquelles peuvent pousser l'intérêt et la cupidité.

Gilles de Laval, seigneur de Retz et d'un grand nombre d'autres terres et seigneuries, tant en Anjou qu'en Bretagne, était maréchal de France sous le règne de Charles VII, dans la première partie du quinzième siècle. Il était un des plus riches seigneurs du royaume; mais ayant eu le malheur de perdre son père à l'âge de vingt ans, et se trouvant, si jeune encore, maître d'une aussi grande fortune, il fut bientôt entouré d'une foule de flatteurs, de parasites, qui excitèrent son goût naturel pour le faste et les dépenses excessives ou même ridicules. Rien n'égalait la magnificence de sa maison, qui était composée de plus de deux cents hommes à cheval, non compris sa chapelle, dont il avait décoré le premier aumônier du titre d'évêque. Les villes d'Angers et d'Orléans furent plus particulièrement témoins de ses prodigalités et de ses folies. Les jours de grandes fêtes, telles que l'Ascension et la Pentecôte, il faisait jouer des mystères sur des théâtres élevés à ses frais sur les places publiques, et ses gens distribuaient en abondance aux spectateurs toutes sortes de rafraîchissemens. Mais ses revenus, quoique très-considérables, ne pouvant néanmoins suffire à tant de dépenses, il fallut emprunter d'abord, et ensuite vendre les châtellenies, les baronnies, pour rembourser les prêteurs.

Ainsi toutes ces belles et grandes propriétés furent dissipées en peu de temps. Gilles de Laval, se voyant ruiné et ne voulant rien retrancher de ses folles dépenses, se livra à des charlatans qui lui promettaient les moyens de trouver des trésors, et par conséquent de recouvrer sa fortune. Il s'adonna à ce qu'on appelait alors la magie. Un médecin poitevin et un Florentin, nommé Prelati, qui prétendaient avoir commerce avec le diable, se chargèrent de l'endoctriner: ils lui firent avoir des visions; mais on découvrit par la suite que ces visions étaient un jeu de ces empiriques. On ajoute qu'il signa de son sang une promesse au démon de lui livrer tout ce qu'il exigerait, excepté sa vie et son âme. Il n'exécuta que trop fidèlement sa promesse. Les deux charlatans qui avaient entrepris de l'exploiter, n'avaient qu'à lui demander, au nom du diable, une certaine quantité de sang humain: aussitôt il faisait enlever et renfermer dans les châteaux de Machecoul et de Chantocé les plus jolis enfans des deux sexes, pour les faire mourir dans d'horribles tourmens, et faire servir leur sang aux évocations et autres opérations alchimiques et magiques. On répugne à rapporter les détails des sacrifices abominables qu'il fit à la prétendue divinité infernale avec laquelle il avait fait pacte. Cet homme féroce et crédule avait recours à plusieurs préservatifs lorsqu'il s'exposait aux apparitions du démon, préparées par les intrigans qui se jouaient de lui. Tantôt il récitait une prière à la Vierge, ou faisait le signe de la croix; il avait aussi l'intention secrète de se convertir et d'aller à la Terre-Sainte; mais ce qui est le plus caractéristique pour l'époque, c'est qu'il traitait quelquefois les diables de vilains, croyant ainsi placer un homme de grande qualité comme lui au-dessus de leurs atteintes. Il avait en outre un préservatif plus puissant que tous les autres, c'est qu'il tenait son épée en main, et les diables savaient qu'il la maniait avec autant d'habileté que de vigueur.

Trop élevé, selon lui, au-dessus du vulgaire pour se croire obligé de cacher ses folies et ses crimes, le maréchal de Retz les laissa en peu de temps parvenir à la connaissance de toute la province. Depuis long-temps la clameur publique dénonçait ses rapts d'enfans, les supplices atroces qu'il leur faisait subir, et l'usage horrible auquel il réservait le sang de ces malheureuses victimes, mais c'était vainement que ses vassaux, sur lesquels il prélevait de force cet affreux tribut, versaient des larmes sur le sort de leurs enfans immolés de la sorte, et dont le nombre s'élevait à plus de cent; c'était vainement qu'ils faisaient entendre partout, dans les villes, dans les campagnes, les sanglots du désespoir; le nom, le rang de l'accusé, sa fortune, qui avait été si considérable, imposaient à la justice, et jusqu'alors l'avaient rendue sourde et aveugle. Mais enfin les attentats de ce monstre devinrent si révoltans, si exécrables, la voix publique s'éleva si haut contre lui, que l'évêque de Nantes et le sénéchal de Rennes, juge général du pays, furent obligés de l'entendre; et craignant peut-être que les Bretons et les Angevins, exaspérés par une si cruelle tyrannie, ne se fissent eux-mêmes justice, ils le traduisirent devant un tribunal.

La lecture des pièces de ce procès si long-temps différé fait frémir d'indignation. On y voit que le maréchal se présenta devant le tribunal avec une fierté, un dédain qui pouvaient rappeler que pour lui les diables n'étaient que des vilains, et qu'il croyait ne voir dans ses juges que des gens de cette classe. Dans un de ses interrogatoires, ce scélérat eut l'audace de répondre d'un très-grand sang-froid qu'il avait commis plus de crimes qu'il n'en fallait pour faire condamner à mort dix mille hommes! «Quel temps, ajoute l'historien qui me fournit ce récit, quel temps que celui où la justice pouvait, ou plutôt devait attendre une aussi longue série de forfaits pour oser en arrêter le cours et punir un grand coupable, lorsqu'il était protégé par un grand nom et de nobles aïeux!»

Le maréchal de Retz fut condamné à être brûlé vif dans la prairie de Nantes, ce qui fut exécuté le 23 décembre 1440.


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