L'enfant à la balustrade
III
Le maître clerc de mon père, Coqueugniot, était un pauvre garçon efflanqué, qui avait éprouvé à peu près toutes les maladies. Il lui en était demeuré une certaine compétence en médecine et la monomanie de l'art de guérir. Il faisait au docteur Troufleau et au pharmacien Patout une concurrence appréciable et désintéressée; il redressait les errements de la thérapeutique officielle, qu'il traitait de routinière et d'illogique; il dépréciait les médicaments de M. Patout en lui prouvant, chiffres en main, qu'il encaissait des bénéfices illicites et vendait des matières «éminemment nocives». Il faisait venir, lui, ses substances des maisons de gros, par l'intermédiaire d'un ami qu'il avait à Paris; et s'approvisionnait même à l'étranger. Quel que fût le procédé qu'il employât, ce maniaque y était de sa poche, car il distribuait gratuitement ses drogues.
Si l'on risquait un œil dans la cour, on voyait au premier, derrière la vitre d'une fenêtre proche du palier des degrés de pierre, un crâne en pain de sucre, un pinceau de cheveux ramenés sur la tempe en accroche-cœur, une oreille destinée à soutenir la plume, un œil attentif, une pommette rougissante, le tout battant un rythme régulier et bizarre qui intriguait les nouveaux venus. Coqueugniot faisait des pilules. Dès qu'il entendait le pas du «patron», il repoussait vivement son laboratoire, aussitôt dissimulé derrière les rôles.
Ce fut lui qui fut désigné pour me conduire chez M. le curé, prendre ma première leçon de latin. Coqueugniot descendit l'escalier de pierre, sa plume à l'oreille, ses manches de lustrine boutonnées aux poignets. Il me prit par la main et me la trouva brûlante. Il haussa les épaules en passant devant le pharmacien, puis il dit:
—Troufleau, lui aussi, est un âne.
—Ah!
Avant que nous fussions arrivés au bas de la ville, il m'avait parlé de sa scarlatine, de sa coqueluche, d'une varicelle qu'il avait eue à mon âge.
On entrait chez M. le curé par une petite porte ménagée dans un rideau épais de vigne vierge que l'automne embellissait de magnifiques tons de cuivre rouge ou de vin vieux. Une croix de fer surmontait le loquet usé, que l'on soulevait librement, M. le curé considérant que sa maison appartenait à tous. Les murs étaient d'un autre siècle; l'herbe et les orties poussaient alentour, sauf dans un sentier fréquenté. Sur le jambage et le panneau de la porte s'entrelaçaient à la craie, au charbon ou gravés à la pointe du couteau, des termes orduriers et des dessins obscènes à l'adresse du prêtre; la vieille servante s'exténuait à les gratter tous les jours.
Coqueugniot dit:
—C'est le petit jeune homme à maître Nadaud qui vient pour prendre sa leçon de latin.
—De latin?… fit la bonne.
Elle ne semblait point avoir entendu parler de cela. M. le curé n'était pas là; M. le curé avait encore été appelé chez madame Colivaut, qui étouffait. Mais il ne l'attendrait bien sûr pas à mourir, dit-elle, «quoique M. le curé ait de la patience!…»
—Vous pouvez aller vous amuser dans le jardin. Faites attention, au moins, de ne pas tomber dans la rivière.
En me rendant au jardin, je la vis qui déroulait une longue bande de linge dont un de ses doigts était enveloppé: Coqueugniot se faisait exhiber un panaris.
Oh! le joli jardin que celui de M. le curé de Beaumont! Il était bien mal entretenu, rongé de chenilles, labouré par les taupes, tendu de toiles d'araignées, saccagé par tous les chats du voisinage. M. le curé ne voulait à aucun prix qu'on inquiétât les bêtes de la création. Mais ce jardin s'avançait jusque sur la rivière, qu'il dominait à pic, par une terrasse de conte de fées.
Je n'eus rien de plus pressé que d'aller voir l'eau. Elle battait doucement la barque de M. Phébus, le conseiller municipal, grand amateur de pêche. De mémoire d'homme, cette barque était amarrée au pied de la terrasse du presbytère; M. Phébus y passait des journées, debout, la ligne à la main. Il n'était pas arrivé encore, et l'on voyait, aux environs de l'appât qu'il avait jeté, des peuplades de goujons agiter leurs corps blonds mêlés aux ablettes en lame de couteau à fruits. Sur le flanc calfaté de la toue, se reflétaient en arabesques mobiles les jeux de la lumière avec la crête des petites vagues. L'eau stagnante, à l'arrière, semblait tendue d'une belle soie moirée qui allait se déchirant en longues bavures verdâtres ornées à leur extrémité de houppes d'écume savonneuse, car le banc des laveuses était proche. Ces bavardes m'étaient cachées par des fourrés d'aubépine; mais je les entendais s'égosiller comme des grenouilles au bord des marais. Je me mis à compter les arches du pont.
Un bruit me fit retourner. Quelqu'un poussa la porte du presbytère et vint à moi sans faire à la bonne du curé d'autre honneur que celui d'un petit signe du bout de l'ombrelle. C'était Marguerite Charmaison.
Je la vois s'avancer dans ce jardin en soulevant sa robe légère pour éviter les ronces et les fruits pourris qui jonchaient les allées. Elle n'avait pas pris la peine de mettre un chapeau; une source vive de cheveux blonds lui jaillissait du front et de la nuque, emmêlait assez haut ses gerbes désordonnées, qui retombaient çà et là en cascatelles; cette chevelure était à la fois sombre et dorée, comme l'eau qui remue et dont la lumière borde chaque brisure d'une frange éclatante; ses sourcils, plus foncés, se rapprochaient un peu trop et côtoyaient des yeux peut-être bleus, peut-être gris, peut-être verts, qui, par moments aussi, semblaient noirs.
Elle fut près de moi si vite que je n'eus pas le temps de m'émouvoir; elle s'accroupit et me dit:
—Pauvre petit!
C'était l'allusion la plus discrète et la plus sympathique à ma famille persécutée.
Le soleil lui avait semé quatre grains de rousseur sur la joue. Elle avait des cils très longs; une minuscule tache violacée teignait sa lèvre; elle avait dû manger des framboises. Voilà ce que je voyais malgré moi, voilà ce qui m'absorbait pendant que la timidité m'envahissait, pendant que je voulais lui dire: «Oh! Marguerite, c'est vous! c'est vous! Je sais qu'il vous est arrivé à Rome une belle aventure!… Je suis bien petit, mais si vous vous doutiez combien je vous admire!» Je ne lui disais rien.
Cependant elle me parlait. Mais mon trouble était devenu si grand que je ne la comprenais point. Pourquoi venait-elle à moi aujourd'hui, alors qu'elle ne m'avait pas reconnu chez les Plancoulaine? Je ne pus manquer d'être frappé qu'elle me demandât si nous voyions souvent le docteur Troufleau; c'était probablement parce qu'il avait cessé avec nous de paraître chez les Plancoulaine: il était le seul qui eût osé se déclarer outré de leurs procédés envers nous.
Mais dans cette bouche, d'où je n'attendais que paroles d'enchantement, le nom prosaïque de Troufleau m'étonna. Peut-être avec un nom banal composait-elle des choses exquises? Elle était trop près de moi; c'était elle, sa personne, l'image embellie que je me faisais d'elle, qui me pénétraient d'une manière ineffaçable, et ses paroles se perdaient dans le courant trop violent qui m'inondait.
En se relevant, elle m'embrassa. Comme elle m'embrassait la joue, j'avais son menton sur mes lèvres. Je ne le baisai pas. Une boucle de ses cheveux, où jouait le soleil, forma devant mon œil une voûte à claire-voie qui me parut aussi grande qu'un panier d'osier. Je sentis très bien que le moment qui s'écoulait là, avec le menton de Marguerite sur ma bouche et cette boucle de cheveux devant mon œil, resterait longtemps dans ma mémoire. Je n'en jouissais pas; il me semblait que je n'en avais pas le temps; mais je me promettais d'y songer longuement, plus tard.
Lorsqu'elle fut debout, je regardai sa main nue, dont la moiteur ternissait la pomme d'agate de l'ombrelle; la peau de cette main était d'une finesse extrême; le soleil dorait sur son poignet un duvet blond. J'eus un avant-goût d'avenir; je sentis qu'il y avait en moi quelque chose qui pouvait m'entraîner à des folies, à des héroïsmes, à la mort, dans dix ans, dans vingt ans, peut-être plus tôt, peut-être plus tard, pour le plaisir ou l'honneur de toucher du bout des lèvres ce brin de peau fine et moite qui ternissait la pomme d'agate…
M. le curé nous surprit. Il leva son chapeau de loin. Marguerite lui dit:
—Vous permettez, monsieur le curé, que je cueille une de vos jolies roses?
—Toutes les fleurs sont au bon Dieu, mademoiselle, dit-il; c'est à lui qu'il faut demander la permission de les cueillir.
Je trouvai cette réponse jolie, parce qu'il me semblait qu'elle s'inspirait de quelque chose d'où ne procédait jamais ce que j'entendais d'ordinaire. Je n'avais guère vu le curé de Beaumont qu'en chaire, le dimanche, et, bien que je ne comprisse pas tout ce qu'il disait, ses sermons ne me déplaisaient pas. Il y parlait souvent de choses familières, mais il leur donnait je ne sais quelle tournure qui les grandissait et les poétisait. Des personnes se scandalisaient des expressions de ménagère employées par le curé en pleine église. «Oh! oh! ripostait ma grand'mère, monsieur le curé fait son fricot, comme tout le monde, avec une casserole et des petits oignons; mais on dirait, quand il a fini, qu'il raccroche ses ustensiles à la voûte du ciel.» C'était un vieillard maigre; son crâne luisait au soleil, ainsi que sa soutane rapetassée. Il donnait tout ce qu'il avait. Sa figure rappelait les ascètes de la Thébaïde que l'on voit sur les images.
Il avait oublié la leçon de latin; il crut que j'étais venu avec Marguerite, qui semblait une habituée de sa maison. La crise mystique qu'elle traversait, les souvenirs du cardinal Newman et de Rome devaient créer entre elle et le vieux prêtre des liens particuliers. Je m'attendais à écouter un dialogue sublime.
M. le curé nous offrit d'aller nous asseoir à l'intérieur. Mais Marguerite lui dit:
—Oh! monsieur le curé, laissez-nous dans votre jardin! Voulez-vous que nous allions sous la tonnelle?
Le curé se mit à rire, parce qu'il trouvait comique que l'on se plût dans un jardin si négligé. Une fois assise sous la tonnelle, d'où l'on pouvait être reconnu des gens qui passaient le pont, Marguerite dit:
—Je ne suis pas fâchée que l'on me voie chez vous, monsieur le curé, en compagnie de ce pauvre petit, pour la famille de qui l'on est bien méchant.
—Se peut-il, mademoiselle?
Il se refusait à croire au mal. Pour lui, Dieu permettait seulement que nous fussions affligés d'une épreuve dont les hommes étaient les instruments.
—C'est toujours l'histoire de cette maison Colivaut!
M. le curé dit que madame Colivaut était une fois encore tirée d'affaire. Il avait été appelé pour l'administrer; il l'avait trouvée en compagnie de son architecte, discutant des marchés à forfait.
—Il y a des gens superstitieux, dit Marguerite, qui, lorsqu'ils se croient menacés de la mort, se hâtent d'entreprendre une œuvre importante, parce qu'ils s'imaginent que la Providence ne voudra pas les faucher avant la besogne accomplie.
—C'est une confiance en la bonté de Dieu, qui les honore. Madame Colivaut est une si excellente personne!
—On prétend, dit Marguerite, qu'elle a surtout envie de faire enrager monsieur Fesquet en lui bouchant la vue avec son pavillon.
—Oh!…
—C'est ce qu'on dit; mais il faut ajouter que monsieur Fesquet provoquerait cette malice en contraignant la vieille dame à couper ses magnifiques arbres!… Savez-vous pourquoi monsieur Fesquet tient à faire abattre ces arbres, monsieur le curé?
—Monsieur Fesquet est un ennemi de l'Église, c'est vrai; mais je ne le tiens pas pour insensé, et j'imagine qu'il doit obéir à un puissant motif.
—A un puissant motif, en effet, car il est haineux et jaloux…
—Prenons garde, ma chère enfant, de médire de notre prochain!
—Monsieur Fesquet est le pensionnaire de madame Auxenfants, la voisine de madame Colivaut… Madame Auxenfants loge, avec monsieur Fesquet, un autre célibataire, le docteur Troufleau.
«Bon! fis-je en taillant des encoches dans le bois de la tonnelle, voilà encore le docteur Troufleau.»
—Eh bien! monsieur Fesquet, qui est un vieux laid, tout jaune de bile, est jaloux de son co-locataire qui est jeune et qui réussit.
—Dans tout cela, dit le curé, je n'aperçois point le motif d'abattre les arbres.
Marguerite baissa la voix.
—Vous n'ignorez pas, monsieur le curé, qui a acheté la maison Colivaut?
—Certes non!
—Qui habitera la maison Colivaut, aussitôt le décès de la vieille dame; qui tient essentiellement à la belle terrasse, aux ombrages?
—Je comprends, dit le prêtre, un ami du docteur Troufleau, monsieur Nadaud.
—Mieux que cela: une amie!… Madame Nad…!
M. le curé toussa, se moucha bruyamment, battit l'air de la main, entre la jeune fille et moi, comme pour créer une cloison, afin que je n'entendisse point. Je taillais profondément mes encoches. Mon occupation et mon âge faisaient entre eux et moi une séparation suffisante.
Puis le curé prit la défense du docteur Troufleau, qui, pour être malheureusement imprégné de principes matérialistes, n'en demeurait pas moins un fort honnête garçon, plein de valeur. Il avait connu ses parents, de simples cultivateurs d'un canton voisin qui avaient jeûné vingt ans pour permettre à leur fils de s'élever au-dessus de leur condition. Loin d'être un «mirliflore» ou un libertin capable de sacrifier l'honneur d'une femme à son plaisir, le docteur avait des sentiments si honnêtes que…
—Que…? dit Marguerite.
—Que, ma foi! je n'hésiterais pas à le recommander à la jeune fille que j'estime le plus.
—… Que vous estimez autant que moi, monsieur le curé…
—… Que j'estime autant que vous, mademoiselle!
—Ah! ah!
—Que voulez-vous dire?
—Ah! ah!… Maintenant je sais ce que je voulais savoir!… Monsieur le curé, je vous ai fait parler!
Le curé, qui n'entendait pas malice, ne donna point attention à ce jeu de femme. Il venait de s'apercevoir que j'avais fait une entaille profonde dans l'un des montants un peu vermoulus de sa tonnelle, et il s'écria:
—Mais, petit malheureux, vous allez nous écraser, comme Samson, sous la voûte du temple, si vous en brisez les colonnes!
J'avais fait une vraiment belle entaille blanche dans le vieux bois peint en vert autour duquel s'enlaçaient des tiges desséchées de liserons. Je m'attendais à être fort grondé.
Il me demanda seulement si je savais bien mes prières du matin et du soir et si je ne manquais pas de les dire. Je lui répondis «oui». Il me baisa au front: ce fut tout.
Une quantité d'insectes bourdonnaient dans son jardin en friche. C'était une charmante musique sous le soleil de septembre. Comme nous faisions silence, on l'entendit un bon moment, tout à l'aise. Ce chant de la création, sous les bienfaits du ciel, allait au cœur du saint homme. Il écarta les mains; le gras de ses manches brillota au soleil; son œil se trempa, et il dit:
—Comment ne pas aimer Dieu!
Puis il vanta à Marguerite les charmes de la vie provinciale et paisible. Son désir était de soustraire une âme d'élite à la corruption de Paris. Il souhaitait aussi qu'une femme chrétienne régnât sur le jeune docteur Troufleau, de qui la vie était digne, mais la direction des idées inquiétante. C'était le vœu de la grand'maman Charmaison que sa petite-fille fût mariée près d'elle: le prêtre en était certainement avisé. Comme il allait revenir sur le sujet que Marguerite avait amené elle-même par un détour assez curieux, elle l'arrêta:
—Le docteur Machin, dit-elle, y pensez-vous?… Papa l'enverra promener!
A la bonne heure! Moi, je comprenais très bien qu'on ne passât pas d'Œdipe sanguinolent et de lord Wolesley, mort en odeur de sainteté, au docteur Troufleau. A vrai dire, je m'étonnais qu'il pût être question d'un mariage, c'est-à-dire de la chose la plus ordinaire du monde, pour Marguerite Charmaison, qui me semblait promise à des destinées insoupçonnables!…
Le curé, lui, sembla déçu. Il hésita à parler de nouveau.
Je sus, dans la suite, que Marguerite avait flairé, chez le timide docteur, un sentiment inavoué, et qu'elle était venue s'enquérir à bonne source, et de l'imminence d'une demande, et de la valeur du prétendant. C'était d'une femme, simplement.
Un bruit sourd vint de la rivière, et M. le curé dit:
—Ah! voilà monsieur Phébus qui saute dans sa barque.
Puis il se leva en faisant «Chut! chut!» et nous allâmes tous les trois à pas de loup jusqu'à la rampe de pierre. M. Phébus était debout dans sa barque; il tenait sous le bras une longue canne à pêche. La flotte, jetée à gauche, se laissait doucement porter par le courant vers la droite. C'était un morceau de liège arrondi et colorié de rouge à mi-corps, qu'un petit tuyau de plume traversait. Le fretin qui mordillait le ver donnait à cet objet l'aspect d'un drôle de petit homme ventru s'amusant dans l'eau à faire la trempette. Tantôt il s'enfonçait à peine; tantôt il plongeait tout à fait. Mais M. Phébus, qui savait à quoi s'en tenir, ne retirait pas la ligne pour si peu, et distinguait finement quand le goujon avait mordu. Lorsque le petit homme était arrivé là-bas, sur la droite, tout près de l'extrémité de l'ombre du pont grandissante, M. Phébus soulevait la longue canne; on distinguait deux vers de terre flasques et trois grains de plomb noirs enfilés à un crin invisible. La soie sifflait dans l'espace non loin de nos visages, puis dans le temps d'un clin d'œil, le petit homme était retombé sur sa jambe et se laissait flatter l'abdomen par la surface de l'eau. Et le même jeu recommençait. M. Phébus était coiffé d'un chapeau auquel l'usage et les ans avaient donné le ton du pain doré par une bonne cuisson. Nous n'apercevions de lui que ce chapeau, le bas du corps et l'avant-bras droit soutenant la canne à pêche. A ses pieds était une boîte de fer-blanc à jours, qu'arrosait une flaque d'eau passant d'un bord à l'autre au gré des mouvements du pêcheur. Un bout de sentier, de la largeur d'un ruban, et mangé d'herbes vivaces, se blottissait contre le mur pour amener là M. Phébus et nul autre.
M. le curé admirait la patience de M. Phébus qui ne prenait presque jamais de poisson, car l'endroit était mauvais, mais s'obstinait à y demeurer immobile des journées entières, des semaines, des mois. Il admirait la sérénité de cet être, célibataire, sans profession, à peu près dépourvu de rentes, qui n'avait rien d'autre à faire dans la vie que d'être là, à ne rien faire. Et M. le curé s'étonnait que cet homme jouît d'une telle paix et fût un impie. Car M. Phébus se joignait aux rouges politiciens qui péroraient, le soir, au café, vis-à-vis de la statue du poète; et dans cette parfaite tranquillité des choses, là, devant ce morceau de liège oscillant avec la régularité d'un pendule de la gauche à la droite, au pied du mur du calme presbytère, devant les prairies et les doux coteaux d'une vallée tourangelle, M. Phébus méditait et préparait, dans la mesure de ses forces, des révolutions et des massacres, qui auraient lieu, il est vrai, à Paris.