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L'enfant à la balustrade

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XIV

Le carnaval chez les Plancoulaine! Quelle affaire ce fut dans la ville!

Pendant trois semaines, nous n'entendîmes point parler d'autre chose. Ce n'était pas la première fois que les Plancoulaine donnaient des fêtes; mais aucune n'avait été annoncée avec autant de fracas, et la nouveauté était qu'il s'agissait d'un bal costumé. Se procurer des costumes n'est pas aisé en province; aussi s'y était-on préparé de bonne heure.

On citait le docteur Chevalière et maître Courtois qui n'avaient pas craint de faire le voyage de Paris tout exprès. M. Charmaison, lié avec les peintres, devait leur procurer des accoutrements splendides, ainsi qu'à quelques personnes privilégiées. Le député de Paris lui-même, disait-on, viendrait en «Robespierre». La ville, les maisons de campagne, quelques châteaux avaient accepté l'invitation des Plancoulaine. De toutes parts on travaillait, on cherchait des idées, on remuait les garde-robes des grand'mères; on dérangeait les mites; on soulevait de la poussière. Plusieurs de ces messieurs allaient au chef-lieu s'entendre avec le costumier du théâtre, voire avec le conservateur du musée. On se rencontrait à la gare, et on s'abordait avec des: «Ah! je vous y prends!… Vous aussi, vous y allez de vos frais!…» Et on surprenait par-ci par-là: «Étourdissant, mon cher!…—Général romain…—Catherine de Médicis…—Il portera sa tête sous le bras, hi! hi! hi!…—On parle d'un groupe de vierges folles; dites-moi, entre nous, moi, je ne suis pas un érudit: qu'est-ce que c'est que ça?…»

Chacun s'ingéniait à nous rapporter les propos et les nouvelles. Nous sûmes que M. Clérambourg avait choisi la figure de Gargantua, qui est populaire dans le pays. Il aurait un masque bouffi et une bedaine artificielle. Coqueugniot seul ne s'enflammait pas, prétendant que rien n'est plus malsain que ces déguisements, les vêtements en location, et surtout les barbes et moustaches postiches, «étant saturés de bacilles, dont les moindres sont ceux de la tuberculose».

Le docteur Troufleau était invité.

Il ne nous le dit pas tout d'abord. Il ne le dit que lorsqu'on lui demanda:

—Mais enfin, docteur, vous devez être invité, vous aussi?

—Certainement!

Il ne disait point s'il se rendrait ou non à l'invitation. Quelques jours se passèrent. Mais comme on ne parvenait pas à s'entretenir d'autre chose que de cette soirée, petite-maman lui demanda:

—Mais enfin, docteur, comment vous costumez-vous?

Il dit, d'un air ennuyé:

—Feu mon oncle maternel, qui m'a légué quatre sous, sa bibliothèque et ses nippes, était professeur de sciences physiques et naturelles à la Faculté de Poitiers: j'ai conservé sa robe avec des parements amarante.

Petite-maman se mit à rire.

—Cela vous fait rire; je serai ridicule?

—Dites donc! j'espère que vous viendrez nous voir un peu avant d'aller là-bas, que nous vous donnions notre avis sur la tournure que vous aurez?

—Oh! dit-il, je mettrai mon costume seulement dans ma voiture, avant d'entrer: vous ne me voyez pas traversant la ville… Ces divertissements mondains sont absurdes!

—Bah! il y aura bien un député démocrate.

A l'évocation de M. Charmaison, le docteur Troufleau fit la figure d'un enfant qu'on surprend les doigts plongés dans le pot de confitures.

Il y eut un brin de peau qui tressaillit entre les sourcils de la jeune femme. Elle dit:

—Mais il amène peut-être Marguerite?

Le docteur disait:

—Oh! que non! Oh! que non!

Le sang montait sous sa peau sans transparence; il avait le tour des yeux gonflé.

—Vous dites: «Oh! que non!» qu'en savez-vous?

—Moi? Rien du tout, grand Dieu!

—Elle pourrait très bien venir…

—Oh! non!…

—Docteur, si on vous annonçait, par exemple: «Écoutez bien; il va vous arriver un grand bonheur…» qu'est-ce que vous diriez?

—Moi?… je dirais que je n'y crois pas!

—C'est tout à fait ce que vous m'avez répondu à l'instant.

—Oh! vous interprétez!…

Les bouderies recommencèrent, à propos de cette soirée où le docteur Troufleau se rendait, avec la certitude de rencontrer M. Charmaison et l'espoir de rencontrer Marguerite. Il paraissait évident que sans cette circonstance il eût décliné l'invitation des Plancoulaine.

La jalousie de la petite-maman s'aggravait du dépit d'être la seule jeune femme, à dix lieues à la ronde, qui ne fût pas invitée à cette réunion. Paletot n'y faisait plus rien! On le bourrait, le pauvre chien; on l'envoyait coucher à tout propos; le frère de Mirza s'exténuait à faire le beau, en pure perte. Un jour qu'il était là, sur ses pattes de derrière, celles de devant battant l'air pour se maintenir en un difficile équilibre, ses bons yeux implorant un regard, un mot d'admiration, la mère Fouillette joignit les mains et laissa échapper ces mots énigmatiques:

—Et dire qu'elle en est, elle!

—Qui ça, elle?

—Mais sa sœur!

—Sa sœur! encore!… Vous nous ennuyez, à la fin, avec sa sœur, la mère Fouillette! Laissez-la tranquille, et nous aussi… De quoi est-elle, sa sœur?

—Mais, de la fête, madame! Il paraît que ces demoiselles sont occupées à lui confectionner un petit pantalon et une jupe de cantinière, tricolore, oui, madame!… Oh! la chère amie, qu'elle sera donc jolie! Et elle portera un petit baril avec de l'eau-de-vie: c'est un étui à chapelet, madame, qu'on dirait un vrai fût, mais de la grosseur d'un œuf de cane, avec la bonde et la chantepleure; même que c'est les jeunes filles de l'école qui en ont fait cadeau tout à l'exprès à madame Plancoulaine… Faut bien rire, pas vrai?

Et elle contemplait Paletot, qui n'en serait pas!

—Allons, c'est bon, la mère Fouillette; laissez-nous!

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