L'enfant à la balustrade
IV
Ma vieille grand'mère, à Courance, bien qu'elle eût été la première à blâmer l'achat de la maison Colivaut, avait fait cause commune avec son gendre devant les Plancoulaine et devant la ville. Mon père lui en savait gré ainsi que du joli mouvement qu'elle avait eu en me restituant à lui pour le consoler. Peut-être la remerciait-il, intimement, davantage encore, d'avoir contribué à éteindre les calomnies dirigées contre sa jeune femme, en la venant voir plus souvent que par le passé, en se montrant avec elle, en la couvrant de sa grande honorabilité.
Aussi lui faisait-on fête; on lui offrait à goûter; on essayait de la retenir à dîner. Elle était si heureuse de me revoir, elle était bien tentée de rester. Elle disait, en souriant: «Et ce pauvre Casimir qui va s'inquiéter!…» On savait que le grand-père ne s'était jamais inquiété de rien; on souriait aussi.
Un jour, elle accepta.
Mais, quand on eut fini de parler de choses générales, de s'offrir ceci et cela et de s'inviter, voilà ma grand'mère qui s'avise de me soulever les cheveux avec son pouce:
—Tu n'as donc plus d'eau de quinine, mon petit?
—Mais si! mais si! dit vivement petite-maman; il en a un grand flacon.
J'avais un grand flacon, mais je ne m'en servais pas, et personne ne me frictionnait, comme le faisait autrefois ma grand'mère. Elle dit, sur un ton qu'elle ne commandait plus:
—Si on ne s'occupe pas de cet enfant-là, il va avoir d'ici peu la tête dans un état déplorable!
Pour faire diversion, mon père lut, à haute voix, le journal. Grand'mère se moquait bien du journal!
—Pendant que je suis là, dit-elle, je ferais mieux d'aller visiter le trousseau du petit… Il a laissé du linge là-bas… Il faudrait bien que je sache…
—Ah bon! dit la petite-maman, si vous êtes venue pour passer l'inspection…
Mais grand'mère n'entendait pas; elle fouillait dans mes poches:
—As-tu des mouchoirs, au moins?
Justement, je n'avais pas de mouchoir.
—Il n'a pas de mouchoir! s'écria-t-elle. Voilà un enfant qui se mouche avec les doigts! Allons! mon petit, mène-moi voir ton armoire… Vous permettez?
—Si, au moins, j'avais été prévenue de votre visite, j'aurais un peu préparé la chambre…
Grand'mère comprit la naïveté honteuse de cette excuse. Elle se redressa de toute sa supériorité sur cette jeune femme inexpérimentée et paresseuse. Celle-ci, dépitée, poussa la porte du salon où je couchais. Elle dit:
—Allez donc! Faites comme chez vous!
Et elle se sauva, battant les portes, piétinant l'escalier. Elle alla s'enfermer dans sa chambre.
—Qu'est-ce que vous voulez? dit mon père, dans cette satanée maison, nous serons toujours comme des forains sous la tente: il n'y a pas de quoi se retourner.
—Allons donc! dit grand'mère, voulez-vous que je vous mette votre salon en ordre?
Et ses mains agiles, adroites et courageuses frémissaient du désir d'ordonner cette pièce transformée en fourre-tout indescriptible, et du désir d'étaler mes chemises, mes bas, mes mouchoirs, en belles piles bien comptées.
Son gendre avait le même goût qu'elle. En une heure elle se fût satisfaite et elle l'eût enchanté. Cependant il lui dit, les lèvres pâles de colère:
—Ah! madame, mêlez-vous de ce qui vous regarde!
Elle m'embrassa et courut à sa voiture.