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L'enfant à la balustrade

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XII

On ne voulut pas trop se presser. Toutefois, puisqu'il était bien avéré que par l'envoi de la bourriche on avait entr'ouvert la porte, il convenait de ne pas demeurer trop longtemps sans entrer.

On discuta la toilette; on discuta le jour, puis l'heure de la visite. On disait, vingt fois par jour: «la visite». Le ton que l'on employait à ce propos parcourait une gamme allant de la moquerie et du badinage à la cordialité et à une certaine déférence. Un air narquois et dégagé laissait entendre que l'on faisait peu de cas en somme des Plancoulaine, et que l'on rentrait chez eux parce que tel était notre bon plaisir. Des inflexions sentimentales et même des marques de considération signifiaient que l'on faisait table rase du passé, du moins du passé fâcheux,—y compris la démarche de l'envoi de la bourriche,—et que l'on se préparait tout simplement à retourner chez de bons, de grands amis quittés d'hier. On était très sincère en sautant d'un point de vue à l'autre; et l'on sautait de l'un à l'autre à chaque heure. Dans le premier cas, les Plancoulaine étaient désignés par des expressions telles que «le père Machin», «la mère Machin»; dans le second, par des pronoms, par d'ingénieuses circonlocutions. Le nom même, Plancoulaine, semblait-il, brûlait la bouche.

Il fut convenu que l'on ferait la visite entre quatre heures et demie et cinq heures, après le goûter au raisiné;—il valait mieux, la première fois, ne pas manger le pain de la maison.—Ce serait le moment où l'on est réuni au salon et où il y a le plus de monde. C'est encore le moins gênant; on arrive: «Bonjour;» on s'assied; on cause avec le premier venu.

C'était, du moins, ce que l'on disait, principalement pour s'affermir, pour se donner du corps, car on redoutait une de ces bourrades impertinentes et parfois grossières, dont M. Plancoulaine, s'autorisant de son âge et de la puissance de sa maison, n'était pas chiche quand l'en prenait la fantaisie. Si une telle avanie était à craindre en public, il y avait, par contre, moins de chances qu'elle s'y produisît, que si l'on rencontrait M. Plancoulaine faisant son tour de jardin, par exemple, en compagnie d'un ou deux amis seulement, devant lesquels il eût gardé peu de ménagements.

N'eût-on pas dit de grands coupables allant implorer leur pardon?

On partit.

Petite-maman avait une robe superbe, un grand nœud dans le dos, de longs rubans, aux bords froncés, retombant jusqu'au bas de la jupe, et le moindre de ses mouvements produisait un bruit soyeux. On portait, dans ce temps-là, une boucle de cheveux plats sur le front, des boudins sur la nuque et de petits chapeaux dits «fermés» que des brides attachaient sous le menton.

Mon père avait un gilet blanc et une jaquette d'alpaga dont le vent secouait les basques comme des oriflammes.

Nous descendîmes la grande rue et traversâmes le pont. Mon père s'arrêta au milieu:

—La vue est vraiment belle d'ici; on ne se lassera jamais de le dire…

Il se donnait de petites tapes sur la poitrine. L'émotion de «la visite» l'oppressait, et il avait de la peine à marcher. Qu'il ne pensait donc guère au paysage!

Dans le faubourg une difficulté surgit. Entrerait-on chez les Plancoulaine par la ferme, qui était le chemin des familiers de la maison, celui que nous suivions autrefois; ou bien ferait-on le grand tour par le parc? Le choix de l'entrée familière pouvait être fâcheusement interprété. Celui de l'autre nous entraînait loin, et sous les yeux de badauds qui nous contemplaient avec force curiosité et commentaires. Il y eut désaccord. Mais les gens du bourg sortaient de plus en plus nombreux et se montraient, la main sur la bouche, «les Nadaud sur leur trente-et-un qui vont se jeter dans les bras des Plancoulaine!»

Mon père vira brusquement par le chemin de la ferme.

Nous soulevâmes le loquet, sans sonner; nous parcourûmes le petit corridor aux poussins; nous prîmes garde de ne pas nous mouiller les pieds dans la cour, où poules et dindons picoraient. Une grille franchie, nous voilà dans la cour des communs où l'on avait coutume de caresser les chiens en s'annonçant par des: «Tout beau! tout beau! Holà! Tom, mon bon Tom!… Azor! viens çà, ma bête!…»

Tom était là; mais Azor était remplacé par deux colleys écossais du plus beau poil, qui, ne nous ayant jamais vus, firent retentir d'aboiements les environs. Nous étions tellement préoccupés que nous ne pensâmes même pas, au milieu de ces chiens, à la sœur de Paletot. On croyait entrer sans tambour ni trompette; tous les domestiques furent dehors. Ils restèrent un court moment, ébaubis, puis rentrèrent. Pierre, le valet de chambre, vint à nous.

Mon père se disait: «Faut-il demander à Pierre si monsieur et madame Plancoulaine sont visibles et faire passer sa carte? ou bien faut-il se laisser conduire, sans souffler mot, comme si nous n'avions jamais cessé de venir?» Ce dernier parti fut adopté. Nous avions déjà fait plusieurs pas, Pierre allant devant nous, quant tout à coup mon père ne put s'empêcher de dire:

—Et vous, Pierre, ça va toujours?

Pourquoi fit-il cette question qui ne rimait à rien et qui gâchait l'espèce de désinvolture de notre entrée par la ferme? Il fallait admettre la fiction que nous faisions une visite ordinaire, une visite de tous les jours, ou bien la rejeter tout à fait.

Pierre, supérieur, comprit que mon père ne se possédait pas et jugea convenable de ne point répondre directement à une question personnelle; mais, arrondissant la bouche pendant qu'il poussait devant nous une porte matelassée, il dit:

—Je m'étais bien douté… quand j'ai vu la bourriche…

Nous étions dans le petit salon aux tapisseries. Il y avait là les deux jumeaux Courtois, en uniforme de collège; ils étaient côte à côte, le dos à plat sur le siège d'un divan, les quatre jambes en l'air contre le mur; le bas de leur pantalon retombait et l'on voyait leurs chaussettes et leur peau; ils ne nous firent pas l'honneur de se déranger; mais ils riaient follement d'être vus dans cette attitude.

On entendait un murmure de voix venant du grand salon.

Pour moi, j'avais du coup perdu la tête; je ne savais ce que je faisais. Mes yeux se portèrent instinctivement vers le point le plus redoutable, c'est-à-dire M. Plancoulaine. Il occupait toujours la même place, à proximité d'un piano à queue. Il était fort rouge. D'un coup d'œil rapide, il reçut l'impression de l'acte de vasselage que nous venions accomplir, et puis il fit comme s'il ne nous avait pas vus, et continua de causer très fort avec un jeune homme aux cheveux roux qui avait le cou long et une pomme d'Adam volumineuse. Mais madame Plancoulaine s'avançait déjà et nous tendait la main de la manière la plus aimable. Elle m'embrassa; je reconnus le chatouillement du poil nombreux qu'elle avait au menton; puis elle me lança si fort sur son mari que je faillis m'étendre sur le parquet. J'ai cru comprendre, depuis, qu'elle tenait à ce que son mari m'embrassât avant d'être abordé par mon père, afin de ne pouvoir lui faire trop mauvaise mine pendant qu'il tiendrait son fils dans ses bras. M. Plancoulaine m'attrapa au moment où je glissais et m'éleva pour m'embrasser. J'entendis qu'il disait à mon père: «Bonjour, Nadaud,» dans mon oreille. Peut-être profita-t-il de ce qu'il employait ses deux bras à me soutenir pour ne point lui donner la main. Toujours est-il qu'il ne la lui donna pas, et ne me posa à terre que pour saluer petite-maman.

L'ordre était rétabli. Chacun recommençait à causer.

Il y avait là le neveu Moche et «les fillettes» qui ne se mariaient toujours pas; il y avait toute la famille Capdevielle et l'institutrice anglaise, les Gantois, madame Gentil, le colonel Flamel, les trois jeunes sœurs du docteur Chevalière, que l'on pressait de questions parce que le bruit courait que déjà leur frère, malgré ses succès, quittait Beaumont, pour s'installer à Paris. A notre grand regret, nous ne vîmes ni la cantatrice ni M. Théodore: ils étaient justement en excursion.

Madame Plancoulaine remarqua que nous étions isolés, et elle vint entretenir la petite-maman; elle lui parla de la saison et de sa toilette. Petite-maman répondait sur un ton cérémonieux qui lui donnait l'air d'une étrangère. Mon père, pour n'être pas muet, essayait d'attraper une bribe de la conversation et d'y prendre part. Il cherchait des yeux un secours. Que Clérambourg n'était-il là! il fût venu lui parler sans doute. Gantois s'en gardait bien, ainsi que nombre d'autres «ralliés» à notre cause depuis que nous habitions la maison Colivaut; ni eux ni Gantois ne risquaient un geste en notre faveur chez M. Plancoulaine, tant que le maître n'aurait pas témoigné qu'il admettait le «transfuge» à résipiscence.

Dans un de ces moments d'accalmie que subit une conversation nombreuse, on entendit contre la porte du salon le choc d'une bombe; la porte s'ouvrit, et les jumeaux Courtois, formant une seule boule, roulèrent sur le parquet. Ils jouaient aux lutteurs; ils se tenaient à bras-le-corps, fort étroitement, et, la cloison franchie, ne se lâchaient encore pas. M. Plancoulaine se leva tout debout et jura comme autrefois:

—Nom d'une boutique! fichez-moi le camp d'ici tous deux, grands nigauds!

Le papa Courtois n'était pas là; les relations, comme on nous l'avait dit, devaient être froides avec le notaire; il envoyait, il est vrai, ses fils, mais M. Plancoulaine était pour eux sans égards.

Nul indice ne pouvait nous être plus favorable, puisque M. Plancoulaine virait d'un notaire à l'autre. Mon père dut reprendre courage.

Il était très ennuyé de n'avoir ni dit un mot à M. Plancoulaine ni reçu un mot de lui. Il manœuvrait pour s'approcher de lui chaque fois qu'il y avait un mouvement dans les groupes. Il se rendit utile en allant refermer la porte, que les jumeaux avaient laissée entr'ouverte. Quand il se retourna pour reprendre sa place, je vis qu'il payait d'audace: un tabouret turc, qui servait à déposer un plateau, était libre près de M. Plancoulaine; il s'y dirigea tout droit. Je le suivais des yeux; je me disais: il tourne sa langue et prépare le mot qu'il va adresser à l'ogre en s'asseyant; car, il n'y a pas à dire, s'il va s'asseoir là, c'est pour entamer le feu. Ou on lui répondra, ou bien non; et alors nous n'avons plus qu'à nous retirer; nous en sommes de nos frais de bourriche.

Il s'assit et se tourna rapidement vers la grosse face bourrue et rouge de M. Plancoulaine, en ouvrant la bouche; un son en sortait que je n'étais pas seul à épier. Mais M. Plancoulaine, qui n'avait pas eu l'air de le voir et ne l'avait peut-être pas vu, adressa au même instant un «Chut!» impératif à toute l'assemblée; le jeune homme au long cou calait sa pomme d'Adam avec le talon de son violon.

Le morceau parut long. Dès qu'il fut achevé, grand remue-ménage. Mais le jeune musicien, qui semblait dédaigner tout le monde, s'emparait aussitôt de M. Plancoulaine comme de l'auditeur le moins profane; et il lui parlait dans le nez, avec passion, avec volubilité, avec énervement. Il éclaircissait par la parole ce que sans doute on n'avait pu comprendre, à cause de la nouveauté de son art. Son nez se pinçait, ses narines frémissaient, de grosses veines en zigzag se gonflaient à ses tempes. Il chantonnait tel passage où il avait voulu faire entendre le bruit de la rue de la grande ville, le matin, avec le lourd vacarme des camions et des omnibus, le pas des chevaux de fiacre, le cri des marchands ambulants et jusqu'à la démarche hâtive et légère des trottins. Il disait:

—Leurs bottines ne sont pas neuves, entendez-vous bien? Ce ne sont pas des bottines de femmes élégantes, qui sont tenues en forme par l'embauchoir; ce sont des bottines dont l'empeigne est élargie, qui ont été souvent à l'eau et qui, dans la boue de la rue Montmartre, font «pfoui… pfoui…».

Plusieurs personnes affirmaient qu'elles comprenaient parfaitement; mais le musicien n'en croyait rien, et il suait sang et eau à donner à son explication une nouvelle vigueur. Il avait aperçu petite-maman, et, probablement parce qu'il la trouvait jolie, il s'adressait à elle, ce qui la fit pénétrer dans la conversation générale.

L'excellente madame Plancoulaine, en maîtresse de maison accomplie, ne perdait pas un détail de ce qui se passait; elle devinait l'angoisse de mon père; elle le secourut.

Elle arriva sur nous, trottinant entre les groupes, et me demanda si j'avais goûté. Mon père lui dit que oui; elle ne voulut point l'entendre; elle m'entraîna par la main et prit le bras de mon père, sous prétexte de nous montrer quelque chose «qui en valait la peine».

—Quant à votre femme, dit-elle, on se l'arrache. Laissons-la.

Elle nous mena à la salle à manger et courut au buffet. Elle en tira une terrine de terre brune vernissée qui portait un animal couché, grossièrement modelé sur le couvercle. Elle découvrit la terrine:

—Sentez-moi ça! dit-elle.

Il nous monta aussitôt l'arome exquis de ces pâtés de ménage que l'on ne sait faire qu'en province, dans les bonnes maisons. Cela sent le jardin potager, les allées bordées de thym et de romarin, le four chauffé aux bourrées de genièvre, la bruyère et l'herbe courte des landes que les moutons broutent, où poussent les mousserons et les champignons roses. Le contenu était un dôme de forme ovoïde, de la couleur d'un bronze roux, avec une agrémentation de bandes de lard doré à demi fondu, semblant grésiller encore, et de petites feuilles de laurier cuites aussi et pareilles à des ornements de cuivre verdâtre; une graisse neigeuse enchâssait le tout à la paroi craquelée, d'un bleu de lait.

C'était un pâté composé avec le gibier de la «bourriche».

—Saprelotte! dit mon père, madame, votre talent ne faiblit pas!

Elle avait déjà plongé un couteau dans cette pâte merveilleuse, et, à petits coups saccadés, elle découpait d'une main sûre des tranches larges et minces.

—C'est trop juste, dit-elle, que ce soit vous qui l'entamiez.

Elle courait à la porte, appelait la bonne, demandait des assiettes et du pain. Mon père s'excusait, jurait que son estomac ne supportait rien entre les repas.

—Asseyez-vous là! dit-elle.

Et elle nous mit la fourchette à la main.

Elle avait l'oreille au guet; elle voulait savoir si l'on entrait au salon, si l'on en sortait, tant elle tenait à être à tout le monde à la fois.

—Eh! mangez donc! dit-elle; il faut bien fêter le retour de l'enfant prodigue…

Elle sourit et s'éclipsa sur cette bonne parole.

Le retour de l'enfant prodigue! Ce fut là-dessus que nous fûmes laissés vis-à-vis du pâté de gibier provenant de la bourriche. Matière à méditation! Mon père mangeait, ma foi, pris à la succulence de la terrine. Méditait-il?

Il ne songea pas à s'offusquer du sens donné par madame Plancoulaine à la brouille que terminait le fait de manger ce pâté; c'est qu'il mendiait plus bas encore! C'est qu'étant venu ici, s'étant informé de la santé du domestique, ayant mangé dans la main de la maîtresse de maison, une chose lui manquait: un mot du maître, l'estampille de la réconciliation.

Nous rentrâmes au salon.

Le jeune homme à la pomme d'Adam suppliait petite-maman de se faire entendre. Il arrivait de Paris et ignorait la délicatesse de notre situation. La jeune femme se dérobait, faisait des façons, était fort embarrassée. M. Plancoulaine dit tout à coup:

—Jouez donc, madame, je vous en prie.

Elle n'avait plus qu'à obéir. Elle ôta ses gants et s'assit au piano. Mon père retourna à son tabouret, près du maître. Il n'eut pas à parler à M. Plancoulaine; sa femme entamait une rhapsodie de Liszt.

Elle avait au piano l'audace d'un rossignol qui chante; elle ne doutait point d'elle et jouait avec une facilité si heureuse qu'elle obtenait grâce devant tous. Elle massacrait Beethoven, mais interprétait un Chopin, un Liszt, et les Tchèques et les Russes avec une liberté qui vous laissait stupéfaits, incertains, mais ravis.

Elle plaisait au jeune musicien. Il donna le signal des applaudissements, se leva, parla encore, caractérisa avec feu la nature de ce talent, qui, disait-il «avait l'odeur du steppe». Tout le salon pour petite-maman eut un moment les yeux du jeune musicien. M. Plancoulaine, flatté d'avoir fait entendre «quelqu'un» à un artiste de Paris, applaudit lui-même.

Alors je vis mon père, enhardi, qui se disposait à lui parler. Il s'était encore une fois rapproché de lui. Il allait parler, quand M. Plancoulaine, qui probablement suivait son jeu, lui lança pour toute politesse, en me désignant du doigt:

—Qu'est-ce que vous allez faire de cet enfant-là?

Il avait jeté son aumône. Il dédaigna la réponse. Mon père disait:

—Mais je vais le mettre au collège à la rentrée…

M. Plancoulaine avait déjà tourné la tête et causait musique avec le compositeur.

Mon père fit signe à sa femme qu'il était temps de nous retirer, et il profita du brouhaha, qui durait encore, pour saluer à distance M. Plancoulaine, sans lui tendre la main.

Madame Plancoulaine nous reconduisit. Elle descendit avec nous les marches du perron, en nouant sous son menton les brides d'un chapeau de jardin.

—Mais, madame, ne vous donnez donc pas la peine, je vous en prie!

—C'est trop aimable à vous, madame… nous ne souffrirons pas!…

—Allons donc! dit madame Plancoulaine, il y a trop longtemps que je ne vous ai vus! Je suis sûre que c'est moi la plus contente…

—Mais nous le sommes, madame, veuillez le croire.

—A la bonne heure! Il y aura plus de joie au ciel pour un seul pécheur converti que pour cent justes qui…

Elle coupait aux églantiers une demi-douzaine de roses magnifiques:

—Prenez ça, ma belle!

Nous dûmes nous confondre en remerciements. Il fallait, bon gré mal gré, se déclarer ses obligés. Elle nous conduisait jusqu'à la ferme. Par les fenêtres des cuisines les domestiques étaient témoins de l'honneur qu'on nous faisait. Une porte s'ouvrit tout à coup, et la cuisinière, Françoise, vint vers nous, tenant un chien sur le bras. Elle nous adressait de loin force petits saluts; son œil parlait; elle aussi «s'était bien doutée quand elle avait vu la bourriche». Elle dit en arrivant près de nous:

—C'est Mirza, la sœur au petit chien de monsieur et madame Nadaud. Monsieur et madame vont bien?

—Mais oui, Françoise; merci. Ah! voilà donc «la sœur» dont nous avons tant entendu parler!

—C'est comme ici, dit madame Plancoulaine, vous ne vous doutez pas combien on nous rebat les oreilles de votre chien Paletot. Il faudra nous l'amener la prochaine fois.

Les domestiques, de part et d'autre, avaient poussé au traité de paix. Si la mère Fouillette trouvait que nous dînions trop souvent à la maison, les gens, chez les Plancoulaine, reprochaient aux jumeaux Courtois de «hacher» les canapés et le jardin.

Nous prîmes congé au seuil de la ferme.

—Eh bien! dit petite-maman, j'espère que ça s'est bien passé!

—Oh!… fit mon père, la pilule a le goût amer; mais j'espère que l'effet sera bon.

Il se défendit de ternir l'heureuse impression qu'emportait sa femme; il sentait qu'elle avait là retrouvé sa vie, c'est-à-dire du monde. Quant à lui, il ne doutait pas qu'il dût reprendre pied promptement dans la maison en s'avilissant de nouveau, et le plus fréquemment possible, devant M. Plancoulaine.

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