Les gens de théâtre
XVII
NUMÉRO NEUF ET NUMÉRO ONZE
— Triple sot! animal! butor!… soupirait le numéro 11 en arpentant sa chambre avec fureur… n'avoir pas trouvé un mot à répondre!… m'être laissé terrasser par ses railleries…
N'avait-elle pas le droit de me railler, quand stupide et hébété…
— Eh bien! eh bien!… qu'est-ce qu'il y a?
C'était le numéro 9 qui entrait chez son voisin.
Le vieux comique avait déjà une légère pointe, comme l'attestait le fragment de couplet qui escortait son apparition.
— Bigre! nous avons l'air furieusement agité aujourd'hui! L'aurions-nous vue, par hasard?
— Oui, je l'ai vue.
— Il paraît que le colloque n'a pas été caressant…
— Mon pauvre ami, je suis bien malheureux… J'ai été bête, j'ai été grotesque… J'entends encore ses rires…
— Ah! elle a ri… L'autre aussi elle riait… Vous savez, l'autre… ma Berthe!
Parbleu!… Est-ce qu'elles ne se ressemblent pas toutes?
— Elle a eu raison de rire, reprit Athanase avec animation. Elle a eu raison de me dire que je n'avais ni fortune, ni talent.
— Et moi, je vous répète qu'elles se ressemblent toutes… Comme chantait un couplet sur l'air Du serin qui te fait envie.
— Pas de talent!… pas de fortune!…
— Vous voyez bien que c'est une sans cœur comme ses pareilles et quand je vous conseillais de ne plus l'aimer…
Pauvre garçon… A votre place je n'irais pas par quatre chemins. L'absinthe, voyez-vous, il n'y a que cela pour l'oublier.
— Et moi, je préfère le travail pour la mériter.
— A votre aise… chacun son goût… si vous croyez que ça vous mènera loin, vos pièces… Au revoir, voisin…
Et le numéro 9 regagna sa bouteille, tandis que le numéro 11 tirait ses manuscrits de son secrétaire.