Les gens de théâtre
XXX
LE SCENARIO VOYAGEUR
La misère apparaissait à l'horizon.
Les économies s'étaient englouties. Le crédit menaçait de s'épuiser.
Déjà la maîtresse de l'hôtel avait commencé à regarder son locataire d'un air sinistre, quand il accrochait sa clef au bureau, et les garçons devenaient insolents.
Ces symptômes auraient dessillé les yeux d'un moins aveugle, mais Athanase avait bien autre chose à faire ; Eulalie lui inspirait bien d'autres soucis.
En six mois, elle avait changé quatre fois de théâtre, et le fidèle satellite la suivait, entraîné dans le sillage de son étoile. Seulement, ne pouvant suffire au travail forcé que lui imposaient ces pérégrinations vagabondes, il avait résolu d'économiser les scénarios, et le même lui servait depuis six mois.
Cette pièce à tout faire avait été primitivement un drame.
Eulalie passa à un théâtre de comédie. Le drame se transforma en comédie. Il suffisait d'égayer çà et là et de modifier le dénoûment.
Eulalie passa à un théâtre de vaudeville. La comédie se métamorphosa en vaudeville. La tirade sur l'importance des beaux arts fut changée en couplet de facture.
Eulalie passa à un théâtre d'opérettes. Le vaudeville fut découpé pour la musique. Le couplet fut approprié à la poétique du lieu, et remplacé par un air qui commençait ainsi :
Si Eulalie eût émigré vers un théâtre de pantomime, la tirade serait devenue un ballet allégorique.
Mais, en dépit de ces travestissements, le sort ne se laissait point attendrir.
Si bien qu'un soir, comme Athanase rentrait chez lui, on lui refusa la clef de sa chambre, en ajoutant qu'on retiendrait ses malles jusqu'à entier payement de l'arriéré.
Et ses manuscrits étaient dans les malles!