L'avision de Christine
Ci commence la seconde partie du livre de l’avision christine la quelle parle de dame oppinion et de ses ombres.
Apres ces choses me sembloit que desireuse de plus avant enquerre aloye traçant par la cité d’athenes tant que m’embatoye entre les estudes/ lors joyeuse d’estre parvenue a si noble université voluntaire de mon sens par leur savoir prouffitablement imbuer/ m’arestoie entre les escoliers de diverses facultez de sciences disputans ensemble de maintes questions formant plusieurs argumens.
¶ Lors sicomme l’oreille vouloie tendre a escouter/ adont le sens de ma veue preceda cellui de m’ouye/ Car en haulçant mes yeulx avisay volant entre yceulx une grant ombre femenine sanz corps sicomme chose espirituelle de trop estrange nature et qu’elle fust merveilleuse l’experience prouvoit/ Car celle chose veoie estre une seule ombre/ mais de Cent mille milions voire innombrables parties les unes grandes/ les autres mendres autres plus petites de soy elle faisoit/ puis s’assembloient ses parties d’ombre comme par grans tourbes si que font nuees ou ciel ou oyselés volans par tas ensemble/ mais plus en y avoit que onques oyseaulx ne volerent. Si estoient ces tourbes sepparees les unes des autres ainsi comme les couleurs d’elles se differoient/ car de toutes les coulours qui onques furent et de plus que onques n’en fu estoient differenciees les unes des autres/ Car une grant tourbe en y avoit de toutes blanches une autre de toutes vermeilles/ les autres yndes autres de couleur de feu autres d’eaue/ et ainsi de toutes les couleurs/ Et se tenoient ensemble celles d’une couleur sicomme font oyseaulx d’une espece Toutefois aucune foiz avenoit que ilz s’entremesloyent/ mais tous jours retournoit chacune a sa couleur/ Et non obstant que une chacune couleur se tenist ensemble toutefoiz en y avoit en la route de plus fort taintes les unes que les autres/ se vermeil estoit l’une plus ardant/ l’autre plus palle/ l’autre plus sanguine/ & ainsi de toutes les couleurs si qu’a peine en y avoit une qui aucunement ne differat de l’autre/ Et tout ainsi comme les couleurs d’icelles ombres par tourbes se differoient semblablement faisoient leurs fourmes Car il n’est corps de creature humaine ne d’estrange beste/ oysel monstre de mer serpent ne chose que dieu formast onques voire des plus haultes choses celestielles et de tout quanque pensee peut presenter a la fantasie dont la n’y eust la fourme/ Si en y avoit tant d’estranges qu’il n’est cuer qui le peust penser mais fourmes de geans serpens orribles bestes ne chose mortelle tant ne m’espoventerent comme firent les orribles noirs deffigurez monstres d’enfer de la quelle remembrance encore suis toute espaourie.