L'avision de Christine
Encore de mesmes.
Mais alons oultre pour dieu mercis savoir mon de quoy tu te peus clamer de dieu ne plaindre de fortune/ et certes par ce que il me semble en toy apperçois grant ingratitude & descognoissance quant de foison biens graces que par tant de fois t’a faites & fait chacun jour/ non pas seulement ne le remercies ains te reputes recevoir tres grant tort comme se digne fusses non pas senz plus de mieulx avoir mais toutes choses a ton souhaid/ & que il soit vray avise toy avise quans grans benefices et dons de dieu si notables toy indigne as receus/ & chacun jour fais aux quelles choses se bien penser y veulx & sagement en toy discuter tu trouveras que les adventures qui avenues au monde te sont que tu imputes a male fortune te sont propices & couvenables meismement a l’utilité de ton vivre au monde et pour ton mieulx sicomme cy apres te monstreray Mais ta sensualité te tolt vraye cognoiscence.
¶ Je avise que entre les autres prosperitez .iii. choses entre vous mondains sont que vous reputez comme les principales de voz joyes & gloires & sanz partie de ycelles .iii. ou toutes je suppose que il n’est quelconques richece qui content feist cuer d’omme/ Et qu’il n’est si grant tresor des biens de fortune que cellui a qui elles faillent ne voulsist avoir donné se il l’avoit pour posseder ycelles/ les .ii. sont hors soy & l’autre en soy meismes La premiere est estre nez de nobles parens la quelle noblece je entens des vertus/ La seconde avoir corps sanz nulle defformité et assez plaisant saintif et non maladis/ mais bien complexionné et de competant discrecion & entendement/ La tierce joye qui n’est mie petite avoir enfans beaulx et gracieux au monde de bonne discrecion et de bonnes meurs et craignans dieu/ O femme avises ton ingratitude/ Es tu donques exaussie de celles belles graces avec maintes autres que dieu t’a donnees/ il semble que oublié ayes comment il t’est quant si meseureuse te reputes Est il femme au jour de huy que tu cognoisces plus glorieuse de parens que tu es/ ne te souvient il de la digneté de nostre noble philosophe ton pere qui de noz estudes tant estoit familier que nous seyons en la chayere avecques lui devisant de noz secrés et pour l’acointance de nostre industrie fu en son temps repputé le suppellatif en noz sciences speculatives/ & avec ce vray catholique comme tous jours & a sa fin paru/ et vertueux que je m’en rapporte a toy que plus prises seulement & plus te prouffite la rumignacion de son savoir qui demouree t’est que quelconques avoir non obstant que t’en plaignes que il te peust avoir laissié/ penses se contente de ce bien te dois tenir/ Que diray je de ta tres noble mere scez tu point de femme plus vertueuse/ remembre toy depuis sa jonece jusques au jour d’ui se vie contemplative constamment ou service de dieu quelque occupacion que elle onques eust l’a nul jour laissiee je croy que non/ O quel noble femme comme sa vie est glorieuse comme de celle que nulle tribulacion onques ne suppedita ne brisa par impacience son tres bon courage/ & quel exemple de vivre en toute vertu pour toy/ se tu bien t’i mires/ avises combien grant grace dieu te fait ancore avec tout de si noble mere laisser vivre en ta compaignie en sa viellece plaine de tant de vertu/ & quantes foix elle t’a reconfortee & menee de tes impaciences a cognoistre ton dieu/ Et se tu te plains que peine seuffre ton cuer pour ce que vers elle te semble ne peus faire comme il appartient je te dis/ ce vouloir avec la pacience est meritoire a toy et a elle/ et de elle sanz faille la digne conversacion & vie esleue l’a fait estre clere entre les femmes c’est chose nottoire et tres beneuree Item quant au .ii.e/ en tes biens ne t’a par ta foy dieu donné corps fort assez & bien compleccionné selon ta qualité lui en peus tu rien demander/ se tu ne varies/ si gardes que de tel entendement que il y a mis/ bien en uses/ ou se non/ mieulx te vaulsist moins avoir sceu/ Ce qui touche a la .iii.e joye/ n’as tu enfans beaulx gracieux & de bon sens/ ton premier fruit qui est une fille donnee a dieu et a son service/ rendue par inspiracion divine de sa pure voulenté & oultre ton gré en l’eglise et noble religion de dames a poissi/ ou elle en fleur de jonece et tres grant beauté se porte tant notablement en vie contemplative et devocion/ que la joye de la relacion de sa belle vie souventes foiz te rent grant reconfort/ et quant de elle meismes tu reçois les tres doulces et devotes lettres/ discretes et sages que elle t’envoye pour ta consolacion es quelles elle jeunette et ignocente te induit et amonneste a haÿr le monde et despriser prosperité.
¶ N’as tu un filz aussi bel et gracieux et bien moriginez/ et tel/ que de sa jonece qui ne passe .xx. ans du temps que il a estudié en noz premieres sciences en gramaire on ne trouveroit ne rethorique et poetique lengage naturellement a lui propice gaires plus apte et plus soubtil que il est avec le bel entendement & autre bonne intiquative que il a/ et que je ne mente es choses dictes assez sont magnifestes si que chacun le peut veoir/ non pas le te dis pour toy induire a vaine gloire/ mais affin que graces rendes a cil dont tout bien vient qui t’a donné les diz biens & mains autres/ & lesquieulx fortune ne donne mie/ mais lui de sa pure grace especiale a qui il lui plaist.
¶ Des autres complaintes que tu fais de tes amis germains que tu ne vois et qui de toy sont loings/ je ne fais compte Car comme ce monde ci ne soit que un trespas dois esperer que par les prieres de la bonne mere et la preudommie de eulx serés par la misericorde de dieu conduis en la cité de joye c’est la sus ou ciel ou se dieu plait vous entre verrés perpetuellement.