L'avision de Christine
Les choses que l’ombre disoit a christine.
Ancore te dis je que tous les anciens prophetes qui ont esté non obstant qu’ilz parlassent par inspiracion divine de l’advenement de jhesucrist et des temps avenir/ et mesmement saint jehan l’euvangeliste en l’apocalipse et tous ceulx et celles qui ont prophetisié se j’eusse esté en eulx contraire a leurs dis ja n’eussent saintement parlé des secrés divins/ mais affin qu’en moy tu n’erres & que mieulx m’entendes te dis que non obstant les choses dittes maint ont prophetisié verité es quieulx je n’estoye mie saine mais leur disoie au contraire de leur prophecie sicomme caÿphe qui dist de jhesucrist qu’il estoit expedient un homme mourir pour sauver le peuple/ Il dist verité mais ce n’estoit mie ou sens ou il le prenoit/ et pource estoye faulse en lui/ car je le faisoie follement cuider.
¶ Plus te diray de ma nature tres que creature humaine est nee si tost qu’entendement commence aucun petit a ouvrer en lui/ tantost moy et de mes plus legieres filles entrons en lui/ et au feur que l’enfant croist avec son entendement nous croisçons en lui pareillement & en celle croiscence selon ce que ses inclinacions se donnent je loge en lui de mes filles/ s’il est soubtil en speculacions je les lui baille teles qu’il lui fault et celles le font encercher plus avant de ce en quoy il est enclin/ Se enclin est aux armes teles qu’il lui fault les lui baille/ et celles le font encercher la maniere de excerciter les armes/ Se a oeuvres mechaniques marchandise/ ou labour de terre/ paindre/ escripre/ ou lengager pareillement selon les oeuvres par moy avec la inclinacion ou longue coustume d’enseignement/ toute personne prent ses meurs bons ou mauvais sages ou folz selon qu’il s’applique/ Si fais tout homme ouvrer parler aler et venir et sanz moy ne se mouvroit pour oeuvre faire Si me change souvent en eulx par divers accidens/ et fois souvent des bons mauvais/ et des mauvais bons/ les savans errer et dire faulx en divers cas/ et les simples aler droite voye et dire voir/ et selon que je sui en eulx je me donne a cognoistre par leurs oeuvres et parolles/ Se n’est en aucuns qui de faintise se cueuvrent/ toute foiz ce ne pourroient faire sanz aucunes de mes filles.
¶ Souventes foiz je deçois ceulx ou je habite par leur donner faulx a croire/ nil n’est si sage que souvent ne deçoive ne autrement ne pourroit estre selon le cours naturel.
¶ Je suis fondee sur ce que la fantasie rapporte a l’omme soit mal ou bien Si fois souvent faulx jugement et dis une chose estre bonne ou elle est mauvaise/ et ainsi l’opposite et pour ce fais haÿr et amer sans cause souvent advient et sans l’avoir desservi/ diffamer et aussi louer sans achoison souventes foiz.
¶ Es sages hommes suis plus certaine et plus vraye et es anciens de longue experience/ et pource a bonne cause sont appellez es conseulx des ordenances pollitiques Je suis naturellement plus vive et plus certaine en un homme que en un autre selon l’abilleté de son entendement le quel me rapporte en ses pensees Et en homme qui souvent me change est signe de pou constant et legier courage// Je ne suis nulle fois certaine/ car se certaineté y avoit/ ce ne seroie mie. Je dis souvent verité mais je la dis par couleur et informacion d’autre chose Et la gist en l’omme le sain jugement se la couleur est voir semblable et digne d’estre receue qui me fait parler/ Je ay proprieté de faire encerchier verité et de l’enquerir et fus faite pour celle cause/ mais aussi tost que elle est clerement trouvee de la chose que je fois querir adont couvient que celle mienne fille qui cause a esté d’ycelle verité attaindre se parte de la personne/ Mais g’i demeure avec plusieurs autres de mes filles qui pareillement s’en partent selon les veritez qui sont attaintes/ car la ou elle est nous ne povons arrester/ et si la faisons attaindre par labour d’encercher.
¶ Mes jugemens en nul cas riens ne valent se fondez sur raison ne sont Et cil qui parle ou oeuvre par moy ou sens n’est appellé il erre et abonde en folie J’ay comme dit est filles bonnes et mauvaises voir disans et menterresses/ mais se elles mentent ou dient voir n’est mie certaine la pensee qui en soy les a/ Combien que souvent grant foy y adjouste/ Et pour ce que je suis chose non certainement sceue peus tu appercevoir que moy avecques esperance sur le temps avenir par le moyen de vraye foy sommes cause du merite des vrays feaulx catholiques/ Si peus notter que pour cause que ainsi je me diversiffie et change vois tu ycy mes filles de diverses fourmes et couleurs Car n’est homme si sage qui en soy ne m’ait diversement/ la cause si est que ma mere ignorence ne laisse ou vaissel du corps pour sa groisseur l’ame du tout ouvrer selon sa soubtilleté/ Et pour ce couvient que moy qui composee suis de la nature de l’ame en tant que je suis speculative/ et de la nature du corps en tant que je suis ignorent soie et abite ou cuer de creature humaine mais es intelligences qui franchement voient verité & ont cognoissance des proprietez de toutes choses je ne suis ne n’abite ne nulle part se ignorence et entendement ne sont ensemble/ Et comme dit est homme n’est si sage qui n’ignore les causes du plus des choses/ et pour ce n’est il nul qui en moy ne varie/ mais pource que es moins parfais suis plus foible sont leurs raisons nices et reprouvees.