L'avision de Christine
Encore de reconfort.
Amie chere par ce que dit t’ay/ me semble que assez doit souffire au propos que au premier je promis te monstrer ton tort des grans reclaims que m’as fais de tribulacions que tu dis avoir passees n’estre si grandes que tu les poises/ & aussi que pour ton prouffit te sont premises se en toy ne tient. Assez me semble t’ay prouvé souffisamment/ mais sur le temps present ou quel tu dis ancores durer tes infortunes ou tu ne vois ne cognoiz voye de relachement/ Te respondray confondant pareillement tes oppinions en ce que tu ymagines.
¶ Et apres pour le temps avenir se croire me veulx tout ainsi comme le bon medecin quant il a curé son malade/ lui baille regime pour preserver sa santé & affin que il ne renchee/ te bailleray ordre et voie de estre conduite a la vraye felicité ou tout cuer humain doit tendre comme il n’en soit point d’autre/ Et premierement pour ce que tu ne congnoiz ton estat le te fere congnoistre/ te feray une demande Car par ce que de toy entens tu ne te tiens mie content de telle porcion que tu as de biens Et t’est avis que assez de autres abondent en superfluitez de choses dont escharceté as et souffreté/ Si te demande se tu congnoiz homme ou femme soit prince princesse ou autre des plus remplis des biens de fortune/ soit en seignourie/ estas honneurs et autres dignitez/ je te parle de la vie des mondains/ & en resserve les speculans nobles de entendement/ que tu voulsisses avoir changié ton simple estat & maniere de vivre/ la voulenté que tu as et l’amour et delit de estude que tu prens a ta vie solitaire pour avoir la cure & charge de tant de divers faisselz/ Et dame de conscience et l’ardeur de couvoitise & tout tel courage comme a le plus eureux & fust meismes converti ton corps foible & femenin en homme pour estre transmuee de condicions et de tout en cellui ou celle a qui tu reputes es biens mondains fortune plus propice/ adont respondis a la dame honoree/ dame a quoy me fais tu ceste demande/ ne scez tu que couvoitise tant ne me suppedite que pour tous les biens de fortune voulsisse avoir changié mon estre a cellui d’un autre pour toutes ses richesces/ O folle et comment peut estre que apres tele sentence tu te reputes mal eureuse et puis que mieulx te souffist ton estat que cellui de un tres poissant riche ne feroit/ pour le laissier donc te reputes tu plus riche c’est a savoir plus eureuse que le plus riche qui soit tant que touchent ses richesces/ Car comme toute chose tende tous jours a sa perfeccion/ se tu reputoies le plus riche plus parfaict que toy/ tu vouldroies doncques ton estre avoir au sien changié/ Et ainsi peus tu veoir que le mal ou le bien que les gens ont leur vient par cuider et par oppinion & non mie des choses/ Car cellui est riche qui plus ne couvoite/ et cellui est povre qui art en desir/ amie chiere ci n’as pas mauvaise cause/ or te souffise doncques l’estat ou dieu t’a appellee/ Et de ce que tu te complains de la charge de plusieurs parens que il te faut avoir/ prens la en pacience et fais ton devoir/ Car tout est pour ton merite/ & te resjouis en ce que ilz sont bons/ & espere en dieu comme dit le psalmiste et fais bien/ Car il ne te fauldra ja/ nature est de pou soustenue qui vit a la neccessité de nature il se sauve. Mais qui vit selon les supperfluitez de delices il se pert et dampne & accourse ses jours.