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Notes de route : $b Maroc—Algérie—Tunisie

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La femme de Tidjani

Taïeb a une idée : il veut aller à la recherche d’un certain Tidjani, originaire de Bou-Semrhoun, ouvrier à la gare, qui possède une mule.

Derrière la redoute, sous une petite tente en loques, nous trouvons la femme de Tidjani, flétrie, la peau tannée par le soleil, mais qui a dû être belle jadis.

Elle sait encore se draper avec grâce dans ses haillons de laine rouge.

Taïeb, qui croit fermement à la réalité de Si Mahmoud le Constantinois, me cligne de l’œil en souriant, quittant sa belle gravité de tout à l’heure.

— Hassouna est du Djebel-Amour, du pays des belles filles.

Taïeb s’accoude sur un vieux coussin en laine pour mieux regarder la Bédouine à qui il dit, sur un ton d’une tendresse voulue :

— Tu te souviens, il y a deux ans, à Duveyrier ?

Hassouna nie avec énergie, mais aussi avec un rire trouble qui la dément.

— Quoi, à Duveyrier ? Tu es fou, et tu mens. Entre toi et, moi il n’y a que le bien…

— Bien sûr ! Y a-t-il un bien comparable à celui-là ? Parle, parle, comme l’oiseau menteur qui pond et qui s’envole en reniant ses œufs ! Si je ne te connais pas, moi, qui donc te connaît ?

— Mon père qui m’a engendrée !

— Pas aussi bien que moi qui t’ai possédée, quand tu étais jeune et fraîche !

Ils continuent sur ce ton leurs agaceries brutales, sans obscénité de mots.

Je crois bien que, si je n’étais pas là, Taïeb pousserait les choses plus loin, malgré la décrépitude commençante de Hassouna.

Elle nous sert le café, en regardant en dessous Taïeb qui fait le geste expressif de l’enlacer et de la broyer dans ses bras.

Tidjani arrive. Il ne semble nullement étonné de nous trouver sous la tente avec sa femme.

Ce Tidjani est un loqueteux en vieille défroque européenne et chéchia.

C’est pourtant l’un des héros obscurs du combat de Chaabeth-Hamra, où est mort le brigadier Marschall.

Tidjani, simple civil, et par goût, emprunta un fusil à un juif et partit à pied, courant avec les spahis à cheval, à la poursuite du djich.

Pendant que son mari va chercher sa mule, l’hétaïre assagie nous questionne amicalement, et nous parle d’elle-même.

Elle vit là, où la poudre parle tous les jours, et elle garde la plus étonnante insouciance. Elle rit en parlant des djiouch terrés tout près, dans la brousse du Beni-Smir.

Elle dit en plaisantant que, parmi les Ouled Abdallah pillards, il y a de beaux et fiers garçons, et qu’elle les accueillerait bien volontiers si elle ne craignait pas le couteau de son mari.

Elle dit tout cela avec mille agaceries pour Taïeb. Parfois, pourtant, il y a comme une ombre de nostalgie qui passe sur son visage vieilli, quand elle parle des collines du Djebel-Amour natal.

Étrange apparition que cette fille de peine usée, dans ce décor de pierre et de poussière, en ces jours troublés !

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