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Notes de route : $b Maroc—Algérie—Tunisie

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PRÉFACE

Par un beau soir de printemps africain, nous fumions lentement des cigarettes sur la terrasse de notre Télemly, et nous disions sans entrain des choses d’Europe en compagnie de quelques hiverneurs qui cultivaient leur fatigue à Alger.

C’était devant la baie où le soir avait fini comme un jour plus bleu. Notre attention paresseuse s’y tonifiait aux projections électriques des cuirassés qui, par jeu, semblait-il, s’éventaient de lumière ; et nous humions aussi, avec notre petit brouillard de tabagie, les aromes brûlés des roses et des jasmins qui, par bouffées, montaient du jardin creux, caché dans une fissure du vallon.

Il y avait parmi nous, arrivée depuis peu d’un Sud-Oranais encore dangereux, cette jeune femme russe qui a passionné toute l’Algérie par ses aventures et par sa mort tragique.

Tout de suite elle avait apporté dans notre cercle, en dépit des meubles du tapissier et de nos mouvements trop stricts, un peu d’atmosphère saharienne et d’ampleur nomade.

Drapée aux plis de son burnous sévère, coiffée comme d’une tiare assyrienne du haut turban à cordelettes fauves, bottée en cavalier filali, d’un vrai style sans équivoque, elle se souleva du coude parmi les coussins épars où elle rêvassait couchée, et dit en manière d’objection évasive à la théorie qui semblait admise :

— L’horreur de l’esclavage et de la soumission nous paraît un des plus beaux sentiments ; nous en vivons, nous en créons notre progrès ; à certains moments je me suis demandé pourtant si ce n’était pas là un fruit d’Occident, une graine politique dont la culture restera toujours localisée. Les femmes n’ont pas encore admis que le bonheur résidât dans la liberté, car elles étaient naturellement portées à comprendre ce que peut être la responsabilité.

Elle se leva, déjà excitée par sa parole, fit quelques pas dans la pièce ouverte sur la mer et secoua sur le balcon avancé sa pipette de kif.

Ses gestes avaient beaucoup d’aisance. Elle était grande, sans lourdeur, moins de poitrine qu’une amazone, l’air encore très jeune avec un front bombé d’entêtement qu’éclairait un regard à éclats contrastant avec ses poses lentes et l’aristocratie reposée de ses mains.

Elle continua, distraite, en jouissant de notre attention :

— Je sens qu’il y a dans l’âme russe beaucoup de profondeur sentimentale, à cause justement de son mutisme et de sa servitude. Cependant j’ai voulu que, pour moi du moins, la liberté ne fût pas un vain mot, et je l’ai prise tout entière. Quand j’ai quitté la vie d’étudiant, ce fut pour les aventures de la route. Une sorte de vagabondage m’a conduite des steppes russes aux sables sahariens, en passant par des capitales. C’est que ma soif d’affranchissement ne supportait pas d’attendre. Un jour cependant je devais goûter la saveur de l’obéissance et la volupté de la soumission.

Ces paroles, qui tranchaient sur le ton de la conversation, ne nous étonnèrent pas trop, car nous connaissions le passé de notre amie, son goût du naufrage et du navrement. Elle avait bien quelque droit à s’exprimer ainsi, puisqu’elle avait su moderniser, sans aucun faste romantique, l’allure héroïque et dégagée d’une lady Stanhope.

Avant ce qu’elle appelait son « chant du Sud » elle avait pu, sous des costumes d’emprunt, noter et mimer d’autres poèmes. Elle avait passé par des sentiers difficiles sans trop s’accrocher aux épines. Mais ce qui n’était tout d’abord que le jeu de sa souplesse slave devait devenir bientôt une inquiétude chronique. Elle ne savait plus se fixer. Cette errante pouvait certainement nous parler de la liberté.

Sa dernière transformation, qui semblait définitive, avait fait d’elle un nomade des Hauts-Plateaux, incapable de se tenir sur une chaise et préférant coucher sur la terre que dans un lit.

Quel nouveau roman nous promettait-elle ?

Sa voix, oublieuse des fortes gutturales arabes, se fit plus alerte et légèrement grasseyante d’accent parisien :

— Pour étudier de près les mœurs du Sud-Oranais, et par goût de l’espace, j’aurais voulu être le convoyeur de caravane qui, chaussé de la sandale de peau, règle son allure sur celle de ses bêtes et, les mains nouées aux bouts de son bâton posé en travers sur sa nuque, marche la poitrine dilatée vers l’horizon profond. Mais, comme on n’atteint pas du premier coup à la perfection nomade, je me contentais de mener une sorte d’indolente vie militaire parmi les goumiers de Beni-Ounif.

Le chef d’annexe était un garçon fort intelligent. Il avait su tout d’abord, et lui seul, que j’avais la toquade d’écrire. Cette manie pouvait à ses yeux en excuser bien d’autres. Les mokhazni avec qui je campais n’avaient fait à mon choix aucune objection, et m’avaient bien accueillie quand je vins à eux, initiée de la confrérie des Kadriya en rupture de zaouïya.

Je ne vous dirai pas que mon incognito pouvait tromper longtemps les autres officiers du bureau arabe. Mais ceux-là n’étaient pas mêlés à la petite garnison d’Ounif. Ils vivaient à part, dans leur annexe, avec des préoccupations plus nombreuses d’organisation et de politique locale. Ces sudistes devaient naturellement comprendre bien des choses romanesques ou irrégulières. Franchement je leur avais raconté ma fuite au désert, par dégoût des misères désolantes, par indifférence aux joies sans beauté. Mon cas les avait intéressés, et ils m’en avaient gardé le secret sans m’exposer aux quolibets de la Légion. Je continuai donc, comme il me plaisait, à mener la vice insouciante de mes compagnons fatalistes, en les maintenant facilement dans la considération que l’ignorant bédouin accorde toujours au lecteur du Livre.

Beaux jours de sable et de soleil ! Rien d’amer ne soulevait mon cœur. J’avais trouvé le fond de ma respiration morale. La force joyeuse de la terre était en moi. Je me sentais immortelle, et si riche dans ma pauvreté !

Après les battues et les randonnées dans le pays sombre de Ben-Zireg, le soir, sous les tentes aplaties par l’espace, quand les dernières notes du clairon avaient agrandi le silence, nous nous couchions près des chevaux entravés aux piquets et qui mâchaient lentement leur poignée d’orge. Rien ne marquait plus l’heure. Bien souvent j’aspirai l’air annulé comme si le temps s’était arrêté. Je me souviendrai toujours de ces veillées si calmes dans une atmosphère de danger. Nous arrosions nos galettes azymes de nombreuses tasses d’un thé à la menthe préparé sur un feu d’alfa et d’épines, et nous restions longtemps à écouter le vent. Près des brindilles éteintes, commençaient alors d’interminables récits de la plus vague géographie, mais je savais toujours y mêler à point la citation attendue qui donnait au récit l’estampille de la vérité éternelle. Si complète est la discrétion musulmane qu’on ne me demandait rien de plus.

Les officiers, tout en affectant de me traiter comme les autres indigènes, avaient pour moi quelques attentions où la galanterie blessante n’entrait pour rien. Mais le moyen de faire la cour à une femme qui a des bottes ? Peut-être abusaient-ils un peu du tutoiement. Je n’y voulais prêter aucune attention, car leur désir de favoriser mes observations et, je pense aussi, l’amusement de savoir qu’une femme menait, à côté d’eux, la vie du soldat saharien, constituait à nos yeux une couleur suffisamment neutre. Officiellement et sans pose je continuais donc à être Si Mahmoud.

Deux mois passèrent ainsi dans une équivoque que peu de femmes auraient choisie et qui gardait pour moi beaucoup de charme.

A la longue, en dehors des propos libres de notre état, j’avais cru distinguer plus que de la curiosité et autre chose que du libertinage dans les sentiments du lieutenant qui commandait notre goum.

Il était d’esprit fin et attristé, entêté sous une apparence de douceur. Par plaisanterie je l’appelais « tête de Breton ».

Cependant je profitais de la connaissance de son caractère et de sa sympathie pour obtenir de lui des permissions de courses et d’explorations dans le Grouz. Les Ouled-Djerir tenaient encore la montagne et je m’amusais à constater les inquiétudes que je causais. J’aimais à jouer avec le danger et aussi avec le sentiment. Cela mouvementait un peu la vie quotidienne.

Un jour que je blaguais notre petit lieutenant sur sa mauvaise humeur et sur sa susceptibilité dans le service, il voulut reprendre l’avantage et me dit avec quelque brusquerie :

— Si Mahmoud, écoutez bien : quand on a voulu une règle, il faut savoir s’y soumettre ; il faut avoir du plaisir à obéir…

— Et à désobéir, pensais-je, en le regardant avec un défi et un sourire.

Ce fut un éclair. Il baissa les yeux, sentant le choc des volontés. Mais, reprenant vite son assurance, il ajouta dépité :

— Demain, nous partons en reconnaissance sur Béchar. Il y aura du danger ; vous resterez ici.

Je ne vis dans ce propos qu’une excitation à sauter en selle.

— Si vous partez sans moi, je vous rejoindrai seule, car je ne suis pas venue ici pour raccommoder les burnous.

Le lendemain, à la pointe du jour, le goum harnaché et en désordre se trouvant groupé devant la redoute, notre lieutenant me désigna à la garde du camp, en compagnie de deux Hamyani au profil busqué, qu’il voulait punir à cause d’une rixe.

L’ordre était formel. Il avait été donné en arabe, devant tous les cavaliers, et nous nous étions aussitôt séparés du peloton qui allait partir.

Sans parler du risque que je ne redoutais guère d’être fusillée pour avoir déserté mon poste, je savais très bien le danger que j’allais courir en partant seule à travers un pays insoumis, à l’époque des grandes caravanes de novembre qui tentent l’appétit des rôdeurs. Mais un instinct de perversité et d’indépendance me poussait. Je regardais notre chef bien en face, en lui tenant l’étrier, au moment qu’il montait à cheval. Il comprit que je viendrais et enfonça ses éperons dans le ventre de sa jument ardente qui se cabra et dansa sans vouloir franchir la porte de la redoute. Mais le cavalier lui rendit la main, la flatta sur l’encolure ; elle regimbait encore, quelques mots la calmèrent ; elle s’enleva d’un seul bond encore frémissante et rejoignit le goum, qui s’éloignait dans un poudroiement de sable et de lumière.

Vers le soir, comme je l’avais dit, je réussis à rejoindre les mokhazni suivis à la trace jusqu’au poste de Bou-Ayech. Le lieutenant avait fait dresser sa tente sous les lentisques qui contrastent en cet endroit avec l’aridité pierreuse de la hamada.

Quand il me vit venir, il eut soin d’éloigner son cavalier de service, sous prétexte de prendre connaissance des instructions que je lui apportais.

— Si Mahmoud, tu t’es conduit comme une femme et je devrais te traiter comme une femme… demain matin tu partiras.

— Non, lui dis-je, j’irai coucher dans le bled, la tête sur mon fusil ; demain matin vous me retrouverez… Si vous êtes au danger, je veux y être aussi. Je ne suis venue ici que pour ce service-là.

Il me regarda fixement, les dents serrées, et je vis qu’il se troublait. Mais son hésitation fut de courte durée.

— Soit ! dit-il, tu nous suivras en homme et même en prisonnier, à pied, et le poignet attaché à la selle d’un cavalier. Va, Si Mahmoud, tu dois apprendre à obéir.

J’étais cruellement blessée dans mon amour-propre. Toute la nuit je pleurai sous le ciel profond, dans le silence de notre halte. Je me sentais si seule et si dévoyée ! Mais quand le jour se leva avec des clartés marines qui baignaient la grande plaine nue d’une étrange douceur, je sentis renaître en moi une autre âme et je compris que mes forces ne me trahiraient pas.

L’ordre donné fut exécuté impitoyablement. Pendant des heures et des heures, sous le soleil rouge, les pieds meurtris par les pierres volcaniques, entre deux cavaliers, les poignets enchaînés, je suivis la colonne qui marchait vers l’Antar, dressé en éperon de cuirassé fantastique à l’horizon.

Le lieutenant ne se retourna pas une seule fois vers moi. Il savait pourtant que je l’implorais du regard et que j’étais une femme. Il allait devant lui avec un air renfrogné qui m’enrageait et m’amusait. Les cavaliers du goum chantaient isolément, comme en répons, les uns après les autres, avec de lourds repos accablés, des mélopées de tristesse presque sans paroles et longtemps tenues sur une note haute.

Je n’essayerai pas de définir les sentiments qui m’agitaient. Il s’y mêlait de l’humiliation, de la révolte et la saveur d’une sensation nouvelle, infiniment douce, qui jamais n’avait pénétré l’enveloppe de mon âme.

Ce petit lieutenant, que j’avais toujours plaisanté et dominé, commençait à me devenir autrement sympathique.

Le soir, il me fit amener devant sa tente, m’offrit un pliant, un verre d’anisette espagnole et une cigarette.

— Maintenant, dit-il, avec une singulière pénétration, nous sommes, je l’espère, tout à fait camarades et nous pouvons causer.

Pas une allusion ne fut faite à la punition que j’avais cherchée. Notre orgueil réciproque était satisfait. J’avais mis le mien à accepter la règle militaire sans atténuation. Le lieutenant croyait bien que, de son côté, il avait pu surmonter un sentiment de faiblesse. Dans ces dispositions, nous sentions se développer entre nous les germes d’une bonne et solide amitié, qui fut en effet durable, pour cette raison-là et pour quelques autres…

Pendant ce récit, la nuit s’était faite plus chaude à cause d’un peu de siroco dissous dans l’humidité du littoral. Nous restions alanguis sous la caresse du vent du Sud, étonnés et silencieux. L’un de nous se hasarda pourtant à rechercher la moralité de ce récit.

— Si Mahmoud jouait au soldat, mais cela n’a duré qu’un temps.

— Croyez-vous que ce n’était qu’un jeu ?…

Mais elle ne se souciait pas d’en dire plus, et se remit à fumer le kif, le regard perdu aux lignes du tapis, pendant que les feux électriques fouillaient la profondeur de la nuit africaine.


… Et Si Mahmoud (Isabelle Eberhardt) partit de nouveau, peu de temps après, pour un nouveau séjour dans le Sud-Oranais. Elle n’en devait pas revenir. Sa tombe est au cimetière musulman d’Aïn-Sefra.

Ce champ des morts arabes, planté de pierres aiguës, s’incline vers une bourgade militaire aux cambuses fumantes ; il soulève d’un renflement ou d’une aspiration la petite ville européenne qui semble si aplatie, si insolite dans le grand cirque désolé où luttent contre la montagne les premiers arbres du Nord et les derniers palmiers du désert.

Si le voyageur averti porte ses pas dans ce cimetière ignoré, qu’il s’arrête en passant devant le modeste monument élevé à la mémoire de la jeune femme écrivain dont nous rassemblons ici les notes de route, à commencer par ce Sud-Oranais qu’elle a su voir et qui vivra par elle.

En racontant sa mort héroïque, dans la ruine du village dévasté par les eaux, ceux qui l’ont connue ajoutent avec un peu de pitié qu’elle ne pouvait pas finir autrement.

Ne la plaignons pas trop. Elle avait peur du lit d’hôpital et de la chambre du malade pauvre, dans les villes fastueuses que secoue la trépidation du progrès.

Mourir dans l’air le plus pur du monde, dormir dans les plus fines lumières d’altitude, parmi les peupliers pâles et les trembles argentés, dressés sur la dune fauve comme de gigantesques asphodèles, ce fut sa destinée. Elle venait ici sans le savoir, ou peut-être le savait-elle. Maintenant elle repose loin de l’agitation des villes en travail, devant le ksar saharien le plus caduc, près des habitations de poussière qui retournent à la terre, à quelques pas du grand marabout blanc où les femmes stériles vont en pèlerinage au jour de l’Aït-el-Kébir.

Nous avons touché sa demeure dernière. Nous y sommes venus par des petits chemins poudreux, qui se glissent entre des murailles croulantes, qui serpentent derrière les troncs des figuiers, entre des carrés d’orge ourlés d’un bourrelet d’argile. Nous arrivions à sa tombe effacée et pourtant orgueilleuse d’être si loin du monde et creusée dans le sable ! Isabelle Eberhardt repose entre deux dalles de pierre noire et sa tête est tournée vers l’Orient.

Ce pauvre cimetière musulman, pur et beau comme la mort, dévale en pente assez brusque jusqu’au village. Le jour que nous y vînmes pour la première fois, une voyante population de fête s’y pressait. Les femmes portaient de beaux foulards éclatants sur leur front bruni, des enfants se roulaient sur le sol, un éphèbe arabe y passait à grande allure sur un étalon blanc au poitrail rosi de henné et qui soulevait le sable du galop de ses quatre pieds…


Les impressions du Sud-Oranais que nous publions aujourd’hui sont de 1903, quand le village européen de Beni-Ounif, près de Figuig, commençait à peine à sortir de terre.

Isabelle Eberhardt, au retour de son premier voyage, fit paraître ses notes en feuilleton dans l’Akhbar. Elle en reprit ensuite le texte, modifia quelque peu sa première rédaction en vue d’un volume qu’elle projetait et l’augmenta d’une deuxième partie. Le tout composait le manuscrit qui fut retrouvé dans la vase d’Aïn-Sefra. Très altéré, illisible ou détruit, ce manuscrit n’offrait aucune suite dans ses cent dernières pages. Dans ces conditions, nous n’avons pu que nous inspirer de la deuxième partie de ce « Sud-Oranais » pour le livre que nous avons intitulé Dans l’ombre chaude de l’Islam, et qui prête à Isabelle Eberhardt les réflexions de son caractère. Mais les notes de route qu’on va lire ont été écrites par elle-même, à des époques différentes, dans les haltes de ses voyages. Elles sont l’expression directe de sa personnalité littéraire.


La première partie du manuscrit d’Aïn-Sefra a pu être facilement reconstituée, grâce aux notes de 1903. Avec la version publiée du vivant de l’auteur, nous nous sommes souvent trouvés devant deux rédactions à peine différentes l’une de l’autre, mais qui pouvaient aussi présenter des variantes dignes de remarque. Nous avons cru devoir en rappeler quelques-unes.

Deux chapitres inédits et très développés sur les oasis de Tiout et de Sfisifa n’ont pu être reconstitués. Il n’en restait que quelques lignes, que nous avons reproduites. Nous tenions à signaler l’importance du chapitre de Tiout, car il portait aussi, semble-t-il, toute une biographie de la famille de Si Mouley, le noble agha de Tiout, pour qui Isabelle Eberhardt avait beaucoup de respect et d’affection, et l’étude de ces physionomies sahariennes devait être fort intéressante.


Les deux versions de « Sud-Oranais » ont été publiées dans l’Akhbar, la première en 1904, la deuxième en 1906, et c’est dans la comparaison de ces deux textes qu’on pourrait rechercher la méthode de travail d’Isabelle Eberhardt. Il lui arrivait, en recopiant, de sacrifier des détails qu’on regrette pour adopter une tournure de phrase plus facile. C’est qu’elle tenait beaucoup à la simplicité.


Pour compléter les notes de route de notre auteur, nous avons joint à ses impressions marocaines de Figuig celles d’Oudjda, puis des notations algériennes et des pages qui rappellent ses premières excursions en Tunisie. Nous avons pu, enfin, relever dans ses cahiers et dans les papiers qu’elle nous laissa, des souvenirs sahariens et des indications morales.

Les notes qu’Isabelle Eberhardt prenait pour elle-même expliquent sa véritable nature, rêveuse, enthousiaste et fataliste. A part ses « journaliers », elle nous a conservé peu de réflexions. Elle aimait surtout à décrire et voyait admirablement.

Ses confessions sahariennes montrent d’ailleurs que sa vie compliquée cachait une âme simple et très pure, agitée par sa race, par les accidents d’une vie orpheline et les misères de maintes épreuves, mais assez forte pour se ressaisir et ne demandant qu’à s’isoler pour retrouver sa transparence.

Rien de compliqué, rien d’alambiqué dans ces notes de jeunesse prises en marge des flâneries et des chevauchées. Pas de clinquant étranger, pas de pose irritante. Isabelle Eberhardt se montre directe et franche dans sa manière d’écrire. Et comme sa pensée intime est toujours fortifiante, toujours conseillère d’élévation, il nous a paru qu’elle devait être publiée, pour que la vitalité d’une existence trop rapide se prolongeât encore quelque temps dans l’esprit de quelques uns.

Victor Barrucand.

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