Notes de route : $b Maroc—Algérie—Tunisie
Hadjerath-M’guil
Une gare, donjon isolé parmi les roches déchiquetées.
A quinze cents mètres, une redoute en toub, dominant quelques masures en planches, sur la pente d’un rocher au pied des derniers contreforts du Djebel Beni-Smir.
Un oued envahi d’alfa et de lauriers-roses, quelques palmiers épars. Au delà de la redoute, sur le bord de l’oued, deux petites tombes françaises.
L’une vieille déjà de trois ans, l’autre toute récente, où achèvent de se décolorer quelques pauvres couronnes : celle du brigadier de spahis Marschall, tué il y a un mois au col de Chaabeth-Hamra, dans le Beni-Smir, à la poursuite d’un djich.
Elles ont un air d’abandon et de tristesse infinie, ces deux tombes de soldats, avec leurs croix de bois noir, esseulées, bien dépaysées dans le grand décor âpre du désert.
A la gare, où je suis descendue au hasard, sans même savoir la direction de la redoute où je vais, je trouve un Bédouin très brun, d’un beau type arabe des Hauts-Plateaux, qui est en train de décharger du train une selle et un harnachement de cheval. Malgré ses voiles blancs, je reconnais aisément en lui un soldat, spahi en civil ou mokhazni.
C’est à lui que je m’adresse, car il m’inspire confiance. Je lui conte une histoire pour lui expliquer mon identité et ma présence, et nous devenons aussitôt camarades avec la bonne sociabilité, simple des musulmans.
Taïeb ould Slimane, de la tribu des Rzaïna de Saïda, sort des spahis et va s’engager au makhzen de Taghit. Aujourd’hui même il se rend à Oued-Dermel pour acheter sa monture.
— Si tu veux, viens avec moi, nous prendrons le café chez mes anciens camarades, à la redoute. Tu y feras tes affaires, puis nous irons coucher à Oued-Dermel, si tu es capable de marcher. Demain, on nous donnera des chevaux et nous reviendrons ici pour le train du Sud.
Cet homme a raison et j’accepte.
Nous partons, sur la ligne ferrée d’abord, puis sur une piste ravinée.
A la redoute, une scène comique se passe.
Le chef de poste, un capitaine de la légion, me regarde, stupéfait. Il ne comprend pas du tout le rapport qu’il peut y avoir entre ma carte de femme journaliste et le tout jeune Arabe qui la lui tend. Nous finissons cependant par nous expliquer.
Impossible d’interviewer les légionnaires sans une autorisation supérieure. En somme, cela ne me désole pas, et je vais rejoindre Taïeb chez les spahis.
C’est sous un long baraquement en planches et pisé, avec les paillasses rangées à terre. Les cavaliers en tenue de toile, ceinture rouge, entourent joyeusement le libéré et, comme c’est lui qui m’amène, ils me font fête à moi aussi.
Ils étendent vite des couvre-pieds et nous font asseoir. Puis, après les longues politesses arabes, les souhaits réitérés, ils nous font boire quatre ou cinq quarts de café, un jus clair et inodore, qui ressemble à la tisane de réglisse de l’hôpital.
Pourtant, nous n’osons le refuser, tout ce café offert de si bon cœur… Et puis nous en avons déjà bu de bien plus mauvais !