Notes de route : $b Maroc—Algérie—Tunisie
Chez les Mokhazni
Nous partons, montant tour à tour la mule boiteuse de Tidjani.
Le brave homme nous fait un long discours pour nous prouver que sa bête est bonne quand même.
Sans l’écouter, l’insouciant Taïeb chante les belles Amouriat tatouées, et les longues chevauchées sur les pistes arides, la guerre d’escarmouches, et la toute-puissance du Destin.
Et moi, je regarde les lignes du paysage s’élargir, devenir plus calmes et plus harmonieuses, au sortir du dédale de pierres que traverse le chemin de fer presque depuis Aïn-Sefra.
La muraille des Beni-Smir s’éloigne vers l’Ouest et la vallée s’ouvre. Sable roux, à peine ondulé, avec des chevelures grises de « drinn », l’herbe du Sud, plus coriace et plus triste encore que l’alfa des Hauts-Plateaux.
A la surface du sable, un vent récent a laissé de menues plissures, vagues légères qui donnent à ce site désert un aspect un peu marin.
Au pied du pic arrondi du Djebel-Tefchtelt, nous trouvons le douar du makhzen d’Oued-Dermel : une vingtaine de tentes nomades basses à rayures noires et grises, aplaties sur le sol, comme tapies peureusement.
Les mokhazni, recrutés un peu partout dans les fractions des Amour, sont campés là, avec femmes et enfants, pour surveiller la voie ferrée et les montagnes alentour, où se terrent les pillards.
Les petits chevaux entravés entre les tentes mangent mélancoliquement des brassées de drinn.
Quelques chèvres noires jouent avec les petits enfants et les chiens qui, à notre approche, bondissent, hérissés, féroces, l’œil sanglant.
Un grand air de solitude et de tristesse règne autour de ce campement de soldats musulmans.
Le cheikh du douar, Abdelkader-Ould-Ramdane, encore jeune, figure intelligente et fermée, nous reçoit gravement.
Les braves mokhaznis nous offrent l’hospitalité sous une grande tente tapissée de haïk de laine rouge. Ils nous servent du thé marocain à la menthe, des galettes et du beurre. Ils me content, comme des choses très ordinaires, très naturelles, les alertes continuelles, les attaques et les poursuites dans la montagne, les ruses des rôdeurs.
Ici encore, aucune idée de guerre, dans le vrai sens du mot, de lutte de race à race, de religion à religion.
Les mokhazni ne parlent que de brigands, de pillards. Ce sont, avec les grandes allures lentes de tous les nomades, des gens très simples et très primitifs, des bergers et des chameliers qui continuent leur existence accoutumée, sans presque rien y changer, sous le burnous noir du makhzen d’Aïn-Sefra.
Taïeb les caractérise d’un mot français un peu dédaigneux, et bien spahi : « Ils ne sont pas dégourdis. »