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Notes de route : $b Maroc—Algérie—Tunisie

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Lézards

Contre les murs effrités, que le temps a dorés et découpés en dentelures bizarres, le vent accumule peu à peu du sable.

Dans le bas où, sous terre, l’humidité dure, les ksouriens ont planté des dattiers aux frondaisons puissantes, jaillissant du sol et se courbant en arceaux.

C’est le commencement de l’automne, et des herbes menues poussent sous les palmiers. Dans l’ombre des vieux murs, l’air est d’une fraîcheur un peu salée. Au soleil encore chaud, des souffles de caresse passent.

Ce coin de la palmeraie d’Ounif est abandonné des fellah. Aucun bruit n’y parvient ; on y goûte un silence bienfaisant, quelque chose comme un acheminement lent vers la non-existence souhaitée.

Je suis couchée sur le sable depuis des instants ou depuis des heures, je ne sais plus. Le moindre mouvement troublerait l’harmonie de mes sensations ténues, fugitives.

Près de moi, Loupiot, mon chien noir, un étrange griffon né et baptisé dans une caserne, partage mon immobilité. Assis, il prend des poses de cariatide pour guetter de vagues formes mouvantes, quelque part, au loin.

Le soleil tourne, glisse, oblique, sur un pan de mur où l’eau des pluies a creusé de petits sillons noirâtres.

Alors, sur la toub striée, des lézards viennent se délecter. Ils sont en face de moi, et, pendant longtemps, ils captivent mon attention.

Il y en a de tout petits, minces comme des aiguilles et d’un gris cendré, qui jouent à se poursuivre, rapides, flexibles, promenant très vite des cercles d’ombre légère sur la surface du mur.

D’autres, plus gros, bleutés, s’aplatissent et soufflent, gonflant leur ventre rugueux. Les plus beaux s’épanouissent en teintes rares, comme de longues fleurs vénéneuses. Il y en a surtout de très gros, d’un vert d’émeraude pur, le corps tout couvert de petites pustules dorées, semblables à des yeux de libellules. Sur leur tête plate, des lignes de pourpre tracent un dessin compliqué.

Ceux-ci sont tout à la volupté de la chaleur, étalés, paresseux, la queue molle et pendante. Ils s’immobilisent ainsi, assoupis, heureux, sans tomber pourtant. Parfois leur bouche s’ouvre, comme en un bâillement sensuel. Ils semblent pleins de dédain pour l’agitation puérile des petits lézards gris qui continuent leur course circulaire, comme pris de vertige.

Tout à coup le chien les aperçoit.

Il se lève et s’approche lentement, prudemment, sans bruit. Il tend son museau velu, l’œil intrigué, l’oreille dressée.

Il s’assied devant le mur et considère avec étonnement le jeu des lézards[13].

[13] Des premières notes :

Devant le mur il s’assit, et considéra avec étonnement le jeu des lézards, se retournant parfois comme pour s’assurer de ma présence ou pour me prendre à témoin.

Mais le soleil descend vers l’horizon et projette l’ombre déformée du chien sur la famille des bêtes paisibles.

Alors rapides, effarés, les lézards s’enfuient, disparaissant dans les fissures de la vieille muraille, dans les trous d’ombre où ils habitaient.

Le mur reste nu et doré dans le soleil plus pâle du soir…

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