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Notes de route : $b Maroc—Algérie—Tunisie

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Fausse alerte

Huit heures, le soir, grande oppression sur Aïn-Sefra, dans l’obscurcissement des boutiques fermées, des cafés qui se barricadent, comme aux grands soirs de soûlerie épique, quand la légion donne. Pas de passants civils, un silence lourd, presque une impression de ville en danger.

Les boutiquiers, les mercantis, comme les appellent les Arabes, s’assemblent dans les salles closes, autour du champ vert des billards désertés. Ils prennent des airs graves, soucieux. Ce sont des doléances longues, l’éternelle exagération des choses, le grossissement démesuré par la peur. On parle stratégie ; on trouve la garnison ridiculement insuffisante ; on suppute les risques de se réveiller le lendemain matin avec le chemin de fer et le télégraphe coupés. On annonce une harka, une grande bande de pillards, venant du côté de Sfissifa. On va même jusqu’à évaluer la distance qu’il y a entre le village et la redoute, refuge sûr…

Presque de la panique, en somme, ce soir de mon arrivée, et tout cela parce qu’une patrouille a été attaquée, à Teniet-Merbah, à une vingtaine de kilomètres d’ici, et parce qu’un mokhazni a été tué… De plus, on a signalé le passage d’un djich près de la gare de Mékalis.


Dans une boutique mozabite où je suis venue chercher un peu de lumière et de gaîté, un spahi entre, beau garçon au visage doux et expressif.

Il a l’air inquiet.

— Adieu, dit-il, pardonnez-moi tous, si j’ai eu des torts envers vous.

— Mais où vas-tu ?

— Eh ! n’ai-je pas prêté serment ? Celui qui s’engage met la tête dans le nœud coulant ; après il fera ce qu’on lui ordonnera, sans plus songer ni à sa tente ni à ses amis. Moi, ce n’est pas d’être tué que j’ai peur. On ne meurt qu’une fois. C’est de marcher tout seul dans la nuit, sans un être humain à qui parler… On m’envoie porter une lettre à Beni-Yaho.

Et tous les assistants embrassent le spahi, en songeant au cavalier du makhzen tué le matin.

Et c’est la seule note réellement triste et poignante dans tout ce décor de ville effarée, — ce départ du pauvre soldat qui, lui, risque réellement sa vie, dans l’obscurité menaçante et le silence de la campagne.

Tout se passe très bien, pourtant, et les heures lentes de la nuit s’écoulent sans la moindre alerte, sans l’écho du moindre coup de feu.

Le jour se lève, radieux, dissipant les fantômes évoqués la veille.

On m’annonce que le spahi Abdelkader n’a pas été attaqué. Et tout se calme au village, la vie monotone reprend son cours ordinaire, toute de petits négoces âpres.

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