← Retour

Notes de route : $b Maroc—Algérie—Tunisie

16px
100%

Marché

Le marché de Beni-Ounif, tous les matins.

Devant les cagnas basses du bureau arabe, une vingtaine de ksouriens et de Figuiguiens, vêtus de laine terreuse, accroupis devant des chiffons étalés. Des burnous en grosse laine avec de longues franges autour du capuchon, des peaux de filali[16], des paniers d’œufs, des tas d’oignons et de navets, des peaux de chevreaux pleines de beurre ou de goudron, des régimes de dattes dorées, des paquets de laine teinte en rouge, en vert, en violet : c’est tout.

[16] Peaux de chèvres tannées et teintes en rouge au Tafilalet.

Autour, des spahis, des mokhazni, des ordonnances, des Espagnols, se pressent et marchandent. Encore apeurés et fermés, les gens de l’Ouest répondent par des monosyllabes, la tête courbée farouchement.

L’appât du gain commence à les attirer, pourtant, et ils s’habituent peu à peu au calme et à la sécurité inaccoutumés.

« Le marché aux oignons, » disent par dérision les spahis, tous enfants du Tell ou des Hauts-Plateaux, pleins du dédain et de la haine héréditaire des Algériens pour les gens de l’Ouest.

A l’écart, sous des tentes de nomades étroites, en loques, pouilleuses, des juifs de Kenadsa forgent des bijoux.

Vêtus de gandoura vertes ou blanc sale, coiffés d’un petit turban noir sur leurs longs cheveux roux, ceux-là ont des figures pâles et enflées de reclus, envahies de graisse malsaine. Accroupis, ils travaillent devant leurs petites forges, dans l’odeur fétide de leurs haillons et l’âcre fumée du métal en fusion. Leurs doigts osseux façonnent des bagues lourdes, de grosses agrafes pour femmes, ou de petites boules en argent pour parfumer le thé.

On leur donne des louis d’or et des douros d’argent qu’ils fondent et qu’ils transforment en bijoux.

Et là aussi des marchandages sans fin comblent le vide des heures, pour tant d’exilés.

Cet embryon de marché, un des gages de paix pour le pays, est aussi une des rares distractions d’Ounif, on y vient pour fuir le spleen du Sud, le cafard.

Chargement de la publicité...