← Retour

Notes de route : $b Maroc—Algérie—Tunisie

16px
100%

Bourgade morte

De nouveau le petit train reprend sa marche lente à travers les solitudes. Les gares passent, avec des arrêts longs.

Djenien-bou-Rezg, la plaine ardente, une grande redoute rougeâtre, quelques masures esseulées.

Maintenant c’est Duveyrier, la Zoubia des Arabes, dans un cirque de collines fauves, de roches noires.

Naguère, le chemin de fer saharien s’arrêtait là, et le village récent, tout européen, s’était cru de la vitalité. Les maisons basses, passées à la terre grisâtre, se multipliaient avec les chants d’exilés de la légion ; les cantines et les buvettes s’ouvraient, cahutes en planches et en vieux fonds de bidons à pétrole ; une duègne hardie avait même amené quelques vagues hétaïres, épaves des bouges de Saïda et de Sidi-Bel-Abbès.

Des théories de chameaux venaient s’agenouiller dans les rues de sables, avant d’aller ravitailler les postes perdus du Sud.

Duveyrier fut la source du fleuve d’abondance coulant vers le Sahara. Une apparente prospérité y régna pendant quelques mois. Des gens commencèrent à s’y enrichir, émigrant d’un peu partout vers l’appât des trafics faciles, troubles même souvent.

Lors de certaines transactions, on murmurait tout bas le nom qui emplit depuis vingt-cinq ans les échos du Sud-Oranais, le vieux nom presque légendaire qui sonne plus étrangement troublant ici où il est une réalité : Bou-Amama.

Puis, un jour, la petite voie obstinée — les deux rails de fer qui s’en vont, luisants et esseulés, à travers le désert — dépassa Duveyrier pour aller s’arrêter encore plus loin, en face de Figuig fascinatrice. Du jour au lendemain une autre ville surgit, hâtive comme les herbes du Sahara sous les premières pluies d’hiver. Et la vie éphémère de Duveyrier disparut, absorbée par la nouvelle venue : Beni-Ounif-de-Figuig.

… Aujourd’hui, dans la lumière rose du matin, Duveyrier donne une singulière impression d’abandon prématuré : maisons aux murs tout neufs, mais sans toitures, avec les orbites noires des portes et des fenêtres béantes ; les mercantis ont emporté tout ce qu’ils ont pu, poutres, planches, croisées, tuiles, dans leur exode précipité. Les buvettes closes ou éventrées tombent déjà en ruines et s’ensablent. Il semble qu’une calamité, incendie ou inondation, s’est abattue sur cette bourgade née d’hier, et l’a rendue au silence éternel du désert.

Et c’est d’une tristesse poignante, ce coin de pays abandonné avec ces décombres.

Seule, la petite garnison donne encore un air de vie à Duveyrier, piquant le long des rues le coquelicot éclatant d’un burnous de spahi ou le bleuet d’une tenue de tirailleurs.

A la gare, tout le monde vient, mélancolique distraction, voir passer le train… et la vie s’en aller ailleurs.

… A Duveyrier, une surprise, reflet des mois troublés qui s’écoulent : une escouade de tirailleurs en armes monte dans le train, en cas d’attaque.

Et, malgré cela, encore une fois, comme à Aïn-Sefra, comme à Oued-Dermel, aucune sensation réelle de danger dans le grand calme et le sourire de la plaine ensoleillée.

Chargement de la publicité...