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La Vie d'un Simple (Mémoires d'un Métayer)

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XLIX

Nous avions grand souci de notre Clémentine souffrante et miséreuse. Elle venait d'avoir un quatrième enfant, et Moulin s'étant brouillé avec le jardinier du château manquait de travail. Aussi devaient-ils deux sacs de blé à nos successeurs de la Creuserie et des tissus au marchand du bourg,—sans parler de leur loyer.

La pauvre fille n'allait même plus à la messe, à cause des enfants que leur père ne voulait pas garder et parce qu'elle manquait d'effets convenables.

Mais le pis était son état de santé toujours plus inquiétant. L'une des religieuses de Franchesse, qui s'entendait un peu aux maladies, la disait atteinte d'anémie chronique:

—Il vous faudrait du repos, de la nourriture substantielle, du bon vin!

Conseil d'une assez cruelle ironie, vu la situation du ménage!

—Elle est maigre à faire pitié et faible à ne pouvoir se tenir debout, me dit Victoire en pleurant, un jour qu'elle rentrait de la voir, au mois d'octobre 1880.

A la Toussaint je me rendis à mon tour aux Fouinats. Quel serrement de cœur devant l'impression de misère du logis—qui me rappelait l'aspect de celui de ma mère, aux dernières années de sa vie! Clémentine, chétive et sans vigueur, donnait à téter à son petit dernier qui s'acharnait goulûment à tirer ses seins flasques. Elle sourit avec effort en me voyant entrer.

Misère de nous! Dans le temps que je lui demandais des nouvelles, le souvenir me hantait d'une autre scène en cette même chaumière, un matin que j'étais venu demander à boire à sa locataire d'alors…

—Ça ne va pas trop bien, papa. Il me faudrait des bons soins que je ne peux pas me donner.

Je remarquais son souffle court, ses phrases terminées en une modulation affaiblie, imperceptible presque, sa maigreur effrayante… Je la réconfortai de mon mieux, lui remis quelque argent et proposai de lui envoyer le médecin. Mais elle s'en défendit:

—Mais non, mais non, papa. La sœur m'a déjà donné du fortifiant, c'est tout ce qu'il faut… Je ne suis pas assez malade pour avoir recours au médecin. Et puis, c'est trop coûteux pour nous…

C'est un raisonnement qu'on tient bien souvent dans nos pays. On se fait de la tisane; on se traite soi-même. Le docteur n'est mandé que quand ça paraît tout à fait grave. Et de voir passer son équipage dans nos vieux chemins de campagne semble à beaucoup un indice de mort.

Ainsi en fut-il, hélas! pour notre Clémentine. Peu de jours après ma visite, elle en vint à ne plus pouvoir se lever. Alors son mari s'en fut quérir à Bourbon le docteur Picaud:—Fauconnet, conseiller général et député, avait cessé d'exercer. M. Picaud la jugea très malade—une jaunisse s'était greffée sur l'anémie—et donna l'ordre de lui enlever tout de suite son bébé que recueillit une sœur de Moulin. L'un de ses frères prit l'aîné, déjà fort. Nous nous chargeâmes, nous, de la cadette, une petite fille de six ans, et du troisième, un gamin de quatre ans. Rosalie comme toujours fit la grimace à l'arrivée de ces enfants, mais elle les eut vite pris en amitié et leur fut ensuite toute dévouée.

Victoire demeura aux Fouinats pour soigner sa fille. Elle dut bientôt se rendre à l'évidence: aucun espoir à conserver! Le mal faisait d'un jour à l'autre des progrès effrayants…

Clémentine mourut à la fin novembre par un triste temps de givre et de brouillard,—à trente et un ans!


Ce deuil eut pour conséquence de faire ajourner jusqu'au printemps le mariage projeté entre Charles et Madeleine, la bonne des Noris.

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