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La Vie d'un Simple (Mémoires d'un Métayer)

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Depuis mon embauche lointaine chez son père, depuis surtout qu'il était venu à la Creuserie pour ma jambe fracturée, le docteur Fauconnet m'avait toujours reconnu. Quand il me rencontrait à Bourbon, à l'époque des vacances, il ne manquait pas de me parler de ce «vieux chouan de Noris» mûr pour le dépôt, assurait-il.

M. Fauconnet avait le bras long—qu'il s'agisse d'obtenir une faveur, de faire réformer un conscrit à la révision, ou d'intervenir dans les affaires de justice.

Aussi les quémandeurs, aux vacances, affluaient-ils au château d'Agonges, qu'il habitait depuis la mort de son père.

Enfin l'on devait à son influence la mise en train d'un petit chemin de fer à voie étroite de Moulins à Cosne, qui desservait Bourbon et Saint-Aubin.

Mais l'ancien républicain intransigeant, si farouche dans son opposition à l'Empire, était devenu le bon bourgeois de gouvernement ayant la crainte et le mépris des extrêmes, du côté rouge comme du côté blanc.

Or, M. Noris étant mort, ses filles s'empressèrent d'affermer les deux domaines à un fermier général en vogue, qui nous donna congé.

Nous décidâmes, la Victoire et moi, de nous retirer dans une quelconque locature, laissant les deux garçons prendre une ferme à leur compte.

Justement, une du docteur se trouvait disponible: je m'employai à la leur faire donner. A des conditions d'ailleurs sévères,—car notre député, si féru du bonheur du peuple, écorchait comme un vulgaire Gouin les tenanciers de ses domaines.

Quelle grande marge il y a toujours entre les mots et les actes!

Pour moi je pus louer au Chat-huant ou «Chavant» de Saint-Aubin, un petit bien à trois vaches, de la même grandeur à peu près que celui où j'avais débuté jadis sur les Craux de Bourbon. Au prix fort; mais avec les revenus de mes petites économies—placées par le notaire sur hypothèque sérieuse—je comptais pouvoir joindre les deux bouts assez tranquillement.

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