Fleur d'Abîme
II
Dans la voiture, ils se taisaient.
Tout à coup, elle lui dit :
— J’ai toujours pensé que l’amour qui lie deux êtres n’est si admirable que parce qu’il les rattache à la loi commune, à la loi de Dieu !
Elle n’était pas bien sûre que ce fût là une pensée. Mais ça pouvait passer pour en être une.
Il avait perdu tout sens critique… Il lui prit la main vivement :
— Je vous adore ! murmura-t-il.
Elle se tut longtemps.
— A quoi pensez-vous ? dit-il.
— Je regarde en moi attentivement.
— Et qu’y voyez-vous ?
Elle leva vers lui le bleu limpide de son regard d’enfant. Une humidité de larme y brillait…
— Oh !… oh !… fit-elle… Oh ! mon Dieu !
Du reste, elle était troublée. Elle ne le trompait pas en lui montrant ce trouble, mais, comme toujours, en laissant imputer son émotion à une cause tout autre que la vraie. Elle était émue réellement, de se voir tout à coup, par la volonté de cette mère dévouée à son fils, en face d’une destinée nouvelle ; de sentir que cette seconde décidait d’une longue suite de choses graves, inconnues.
Si ce mariage ne lui apportait pas l’amour, du moins il lui apportait la fortune, et peut-être la liberté !
Allait-elle connaître enfin la passion et la vie ?…
… Une rapide vision lui montra la figure de Léon Terral.
Elle répéta alors : « Oh ! mon Dieu ! »
Cette larme, ces soupirs hésitants, ces mots sanglotés, tout cela parut à Paul autant de preuves d’un amour qui se trahit, qui parlera délicieusement si l’amour l’encourage… Il attira vers lui la tête de la jeune fille et, doucement, lentement, l’appuya sur son épaule. Il pensa qu’elle parlerait mieux si elle ne se sentait plus sous son regard… Et il souffla près de son oreille :
— M’aimez-vous ?
Elle ne répondit pas, et fit le mouvement de cacher mieux son visage tout contre lui.
… Brusquement, il la pressa sur son cœur et la baisa au front, près des cheveux… Elle avait dit, d’une voix à peine expirée : « Oui, je vous aime », si bas, si bas, qu’il avait à peine entendu, — mais comme il lui avait su gré de cette suave réserve !