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Fleur d'Abîme

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XIV

Ce fut pour tout le pays des Bormettes une mémorable journée que celle du mariage du comte Paul d’Aiguebelle. D’Hyères aux Bormettes ce fut, tout le jour, une véritable procession de voitures, sur la grande route poudreuse. Tous les landaus d’Hyères et même de Toulon avaient été réquisitionnés, et les cantonniers s’émerveillèrent de voir tant d’uniformes d’officiers de marine dans la campagne.

La cérémonie religieuse eut lieu dans la chapelle du château.

Le matin, quand elle fut habillée, avec l’aide d’Annette et de Pauline, — Marie vit arriver la comtesse, mince et toute droite, comme rajeunie, dans son éternelle robe noire. Madame d’Aiguebelle prit son lorgnon d’or avec son geste de distinction suprême, qui facilement semblait dédaigneux, et inspecta la belle toilette de la mariée.

— C’est parfait, dit-elle, en s’asseyant, je ne vous ai jamais vue plus jolie… Vos bandeaux tombants vous allaient à ravir… je crois pourtant que je préfère cet arrangement moderne.

Marie, pour ce jour-là, avait, en effet, abandonné sa coiffure à la vierge… Ce fut peut-être une imprudence…

Annette tournait autour de la robe, la frappant de petits coups habiles, pour arranger les plis, les cassures, et elle riait, — sans doute parce qu’il faisait du soleil et aussi parce qu’Albert était arrivé à Hyères, — qu’elle l’avait vu la veille, qu’elle allait le voir aujourd’hui.

La comtesse, prise tout à coup d’une profonde émotion, se leva. Elle venait de penser, avec plus de force que jamais, aux risques toujours cachés dans l’aventure du mariage. Paul serait-il heureux ? Car, du bonheur de Marie, si la jeune femme était celle qu’il fallait, la comtesse ne doutait pas… Que serait l’avenir ?

Elle marcha vers Marie, la regarda longuement… La jeune fille, sous ce regard d’interrogation, sentit la haine qu’éprouvent contre tout témoin, ceux qui ne veulent pas être devinés. Mais elle le soutint avec une fermeté douce… Toutefois, elle plia légèrement les paupières, amincissant le passage de son regard, afin de le voiler s’il devait la trahir…

La comtesse lui prit une main, la garda un moment entre les siennes et lui dit à voix basse :

— Je vous le confie !

Alors, brusquement, quelque chose s’émut dans les profondeurs obscures du cœur de la jeune fille. Le meilleur d’elle fut atteint. La générosité, la confiance, opérèrent durant une seconde. Troublée, elle pensa à ses mauvais desseins qui étaient vagues, à ses mauvaises intentions qui étaient certaines. Elle pensa distinctement aux lettres, tout au moins dangereuses, qui étaient là, enfermées, dans cette merveille de petit secrétaire que venait d’effleurer la longue traîne de sa robe de mariée. Si elle eût été seule, elle les eût prises, ces lettres, elle les eût, sur-le-champ, détruites, — mais, voilà, elle n’était pas seule. Elle pensa aussi à Léon, qu’elle allait voir aujourd’hui, — et elle trouva tout cela mal arrangé, inutile, bête, odieux et fatigant !

— Je vous le confie !

Pour la première fois cette « vieille », comme elle l’appelait, lui disait un mot dont elle fut touchée. Elle ne put que murmurer :

— Madame… Oh ! madame !

Aucune promesse ne lui vint aux lèvres mais il y en eut dans son cœur. Il y avait aussi la confusion de se sentir indigne, un élan vers le repentir, un vœu de devenir autre, — d’essayer du moins…

— Ma chère enfant, reprit avec une douce simplicité la comtesse d’Aiguebelle en retenant toujours dans les siennes la main de Marie, soyez heureuse…, soyez heureux. De toute mon âme, je vous bénis !

— Là, ça y est ! pensa l’exquise fiancée. Berthe avait deviné : on bénit encore, dans cette maison !

Son habitude de « blague » avait été la plus forte. Un mot auquel s’accrochait d’elle-même son ironie, suffisait à la détourner brusquement et pour toujours des pensées les plus hautes un moment entrevues.

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