Fleur d'Abîme
XV
Pendant toute la cérémonie, à l’église, elle pensa aux lettres de Léon. La mémoire de ses ferveurs de communiante lui revint étrangement. Le lieu, les sonorités de l’orgue, et jusqu’à sa robe blanche, avec ce long voile qui l’enveloppait d’un nuage, tout contribua à lui rendre quelque chose des sensations éprouvées en ce jour de première communion où elle avait rêvé la pureté parfaite.
Et, au moment où elle reçut l’anneau, elle se dit avec netteté qu’il était non seulement honnête, mais prudent de s’affranchir du passé ; peut-être bien serait-ce intelligent, d’entrer dans le mariage franchement et sans esprit de révolte… Elle avait tout à y gagner, en somme. Oui, décidément, elle serait une honnête femme. C’était plus sûr. Elle en prenait l’engagement devant Dieu et devant les hommes… Où était-il, Léon, en ce moment ? Là, dans le public sans doute. Après tout, il était gênant, ce garçon-là. Il faudrait songer à s’en débarrasser… Serait-ce facile ? Bah ! un jeu, pour elle !
… Par une ironie des choses, l’organiste de Toulon, qui devait venir à Aiguebelle, n’étant pas arrivé, c’est Pauline qui était assise devant le petit orgue apporté le matin dans la chapelle. Et la chapelle, bien délaissée à l’ordinaire, pleine ce jour-là d’un monde élégant, de frous-frous de soie et d’étincellements d’uniformes, vibrait tout entière aux sons prolongés de l’instrument sur lequel couraient les doigts nerveux de Mlle de Barjols.
A plusieurs reprises, les assistants émerveillés sentirent passer en eux un élan de douleur, de prière perdue, de vaine espérance. Ils ne savaient pas de quelles profondeurs cela venait.
Albert, dans son coin, retenait à grand peine ses larmes. Ce n’était plus sur lui, mais sur sa sœur qu’il avait envie de pleurer. Et elle continuait de jeter son cœur tout entier dans les longues plaintes de l’orgue… Oh ! les déchirants cris d’adieu à la vie même, à l’amour, à tous les biens de la terre, tels que Dieu les a faits pour la créature !… Les assistants ne manquèrent pas de féliciter la musicienne. Elle leur répondit avec ces longs sourires résignés qui étaient toujours sur ses lèvres et comme répandus dans les moindres lignes de son doux visage triste…
Et, une heure après, dans le parc, Annette l’ayant félicitée à son tour :
— Oui, oui, c’est bon, dit-elle ; mais, vois-tu, j’ai pris le mauvais moyen. Il ne faudra pas faire comme moi. Je n’ai pas su être coquette. Toi, il faut l’être, je t’apprendrai.
Il y avait une certaine amertume dans l’accent qu’elle mit à ces paroles.
— Tu m’apprendras ? dit Annette en riant… Mais, puisque tu ne sais pas ?… Et puis, fit-elle tout à coup, à propos de quoi, tout cela ?
Pauline se tut. Annette réfléchissait. Elle eut un soupçon de la vérité, mais non pas du caractère tragique de cette vérité ; et, tranquillement, d’un air capable, elle dit :
— Si tu m’avais confié cela, je te l’aurais fait épouser, moi !
— Gamine ! dit Pauline gravement.
Elle se remit à sourire d’un air navrant. Son sourire, ce n’était pas de la douleur, c’était comme de la joie morte.
— Ne parlons plus de moi, reprit-elle. C’est fini, ça.
— Qu’est-ce, au juste, que la coquetterie ? fit Annette.
— La coquetterie, c’est une promesse qui se donne et se retire perpétuellement. Nous autres, nous ne savons que dire oui, et donner notre cœur d’un seul coup. Nous ne l’offrons jamais, notre cœur, mais nous ne le retirons plus, quand une fois il est donné… Nos mères nous ont appris, à nous autres, toutes les timidités ; et nos frères nous ont demandé toutes les modesties, — qui les ennuient dans leur fiancée… Ah ! j’ai été bien malheureuse et je sais maintenant que je le serai toujours.
Annette, gentiment, l’embrassa.
Pauline reprit avec une exaltation qui était bizarre de sa part.
— Toi du moins, je te sauverai ?
Elle lui serrait les bras fortement.
— Alors, dit Annette d’un air d’espiègle prise en faute, si tu es décidée à ça, alors…
— Alors, quoi ?
— Alors… commence !
— Que veux-tu dire, chérie ?… Comment ! déjà ?…
Pauline ne put s’empêcher de sourire, et ce fut moins tristement. Tout de suite, elle se mettait à espérer pour l’autre, elle qui n’espérait plus. Il y a des femmes qui sont nées sœurs de charité.
— Comment ! déjà !… Qui donc alors, petite masque ?
— Voir le Loup et l’Agneau, répondit Annette un peu confuse et elle récita :
La citation s’appliquait à moitié, mais elle disait bien ce qu’elle voulait dire.
— Dieu soit loué ! dit Pauline, j’entrevois du vrai bonheur pour les deux êtres que j’aime le mieux maintenant, après ma mère : pour mon frère et pour toi.
— Comme ça, fit Annette, Paul n’en fait plus partie, des êtres que tu aimes le mieux ?
— Chut ! dit Pauline. Paul, maintenant, ne nous appartient plus. Puisse-t-il être heureux ! Je ne veux plus penser qu’à toi et à mon frère…
Deux grosses larmes lui vinrent aux yeux.
— Oh ! fit Annette. C’était donc profond !
Et prenant Pauline entre ses bras, elle la couvrit de baisers…
A ce moment Albert, à travers le parc, cherchait et appelait sa sœur, que demandait la comtesse.
Les jeunes filles allèrent à lui.
— Dis-lui n’importe quoi ! fit Pauline à voix basse. Il faut lui parler, attirer son attention.
— Je ne sais pas quoi dire ; et surtout, quand on me dit : « Parle ! » ça me paralyse.
— N’importe quoi ! ce que tu voudras, mais parle ! qu’il te remarque !
Annette prit son élan comme pour sauter à la corde.
— Est-ce que vous me trouvez embellie ? interrogea-t-elle brusquement, avec un grand sérieux comique, dès qu’elle fut près d’Albert.
La question, ainsi posée d’un ton audacieux, isolée des motifs qui la provoquaient, des conseils et des insistances de Pauline, étonna Albert. Ce n’étaient point là les façons fines, discrètes, douces, d’Annette. Et, en riant, sans volonté de malice, il répondit :
— Oui…, mais enhardie, mademoiselle !… Allons, viens vite, Pauline, je suis chargé de t’emmener.
Et il s’éloigna.
— Je te suis ! lui cria Pauline.
Annette s’arrêta et, à son tour, elle se prit à pleurer silencieusement.
— Oh ! je lui ai déplu ! dit-elle consternée.
— Mais non ! Il t’a remarquée ! C’est excellent ! disait Pauline. C’est comme ça qu’il faut faire. Tu verras. Nous en viendrons à bout… Il t’a remarquée. Je te dis que c’est l’essentiel.