SCÈNE III
LE DUC, L’ARCHIDUCHESSE.
LE DUC, à l’archiduchesse, amèrement.
Sérénissime… hein ? Admirable !…
(Il se jette dans un fauteuil, et remarquant l’album qu’elle a repris
sur la table.)
L’ARCHIDUCHESSE.
LE DUC.
Ah ! diable !
L’herbier de mon grand-père !…
(Il le lui prend et l’ouvre sur ses genoux.)
L’ARCHIDUCHESSE.
Il me l’a, ce matin,
Prêté, Franz !
LE DUC, regardant l’herbier.
L’ARCHIDUCHESSE, lui montrant une page.
Toi qui sais le latin,
Quel est ce monstre sec et noir ?
LE DUC.
L’ARCHIDUCHESSE.
Franz, depuis quelque temps, vous avez quelque chose.
LE DUC, lisant.
L’ARCHIDUCHESSE.
LE DUC, la félicitant.
L’ARCHIDUCHESSE.
Je vous trouve nerveux… Qu’avez-vous ?
LE DUC.
L’ARCHIDUCHESSE.
Si ! je sais ! Votre ami Prokesch, l’enthousiaste
Confident d’un espoir que l’on trouve trop vaste,
Ils l’ont envoyé loin.
LE DUC.
Mais en revanche, ils m’ont
Procuré pour ami le maréchal Marmont,
Qui, méprisé là-bas, voyage… pour se faire
Complimenter ici d’avoir trahi mon père.
L’ARCHIDUCHESSE.
LE DUC.
Et cet homme-là cherche en l’esprit du fils
A jeter sur le père…
(Avec un mouvement violent.)
(Se réprimant immédiatement,
il regarde l’herbier,
et dit en souriant.)
L’ARCHIDUCHESSE.
Si je t’arrache une promesse, Ton Altesse
Est-elle résolue à tenir sa promesse ?
LE DUC, lui baisant la main.
Ce que tu fus pour moi de tout temps m’y résout.
L’ARCHIDUCHESSE.
Puis, je t’ai fait un beau cadeau… pour le quinze août ?
LE DUC, se levant, et désignant les objets posés sur la console,
à gauche.
Ces souvenirs, repris par vous dans un trophée
De l’archiduc…
(Il les touche, l’un après l’autre.)
… Briquet !— Bonnet dont fut coiffée
La Garde !…— Vieux fusil !…
(Mouvement d’effroi de l’archiduchesse.)
Non ! il n’est pas chargé !…
Et surtout…
L’ARCHIDUCHESSE, vivement.
LE DUC.
… surtout, cette chose que j’ai !…
(Mystérieusement.)
L’ARCHIDUCHESSE, souriant.
LE DUC, montrant sa chambre.
L’ARCHIDUCHESSE. (C’est elle qui, maintenant assise,
feuillette l’herbier.)
Eh bien ! donc, promets-moi…— Tu connais ton grand-père,
Sa douceur…
LE DUC, ramassant un papier tombé de l’herbier.
Qu’est-ce donc qui s’envole ?… Un papier ?
(Il lit :)
Si les étudiants s’obstinent à crier
Que dans des régiments, tous, on les incorpore…
(A l’archiduchesse.)
Vous disiez : sa douceur ?…
L’ARCHIDUCHESSE, feuilletant l’herbier.
Oui, l’empereur t’adore.
Sa bonté…
LE DUC, ramassant un autre papier qui est tombé de l’herbier.
(Il lit.)
Puisqu’on s’est révolté,
Ordre à nos cuirassiers de charger…
(A l’archiduchesse.)
L’ARCHIDUCHESSE, nerveusement.
Il ne peut pas aimer l’esprit nouveau, le trouble !
Mais c’est un excellent vieil homme.
LE DUC.
Oui, c’est vrai : double !
(Refermant l’herbier.)
Fleurettes d’où pourtant, sentences, vous tombiez,
Le bon empereur Franz ressemble à ses herbiers !
— D’ailleurs on l’aime !… Il sait se rendre populaire.
— Je l’aime bien.
L’ARCHIDUCHESSE.
Il peut, pour ta cause, tout faire !
LE DUC.
L’ARCHIDUCHESSE.
Promets de ne t’enfuir jamais
Qu’après avoir tenté près de lui…
LE DUC, lui tendant la main.
L’ARCHIDUCHESSE, après avoir topé, respirant, comme rassurée.
(Et gaiement.)
Il faut que je te récompense !
LE DUC, souriant.
L’ARCHIDUCHESSE.
Ah ! on a sa petite influence !
Cet étonnant Prokesch dont on vous a privé…
J’ai tant dit !… J’ai tant fait !… Bref,— il est arrivé !
(Elle frappe trois fois le parquet de son ombrelle. La porte s’ouvre.
Prokesch paraît.)
LE DUC, courant vers Prokesch.
(L’archiduchesse s’esquive discrètement pendant que les deux amis
s’étreignent.)