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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE III

Les Mêmes, LA COMTESSE.

LE DUC, éperdu.

Vous !… Mais on m’avait dit !… Pouvais-je fuir ?

LA COMTESSE, rageusement.

Oui, certe !

LE DUC.

Une femme…

LA COMTESSE, avec mépris.

Une femme ! eh bien, la grande perte !

LE DUC, balbutiant.

Mais je…

LA COMTESSE.

Mais vous deviez m’abandonner !

LE DUC.

Songez…

LA COMTESSE, furieuse.

Je songe au temps perdu !

LE DUC.

Vos dangers…

LA COMTESSE.

Quels dangers ?

LE DUC.

Nos alarmes pour vous étaient…

LA COMTESSE, fièrement.

Quelles alarmes ?
— Flambeau n’a-t-il donc pas été mon maître d’armes ?

LE DUC.

Mais cet homme ?…

LA COMTESSE.

Partez !

LE DUC.

Qu’avez-vous fait ?

LA COMTESSE.

Oh rien !
Il a tiré son sabre — et j’ai tiré le mien !

LE DUC.

Pour moi !… tu t’es battue ?

LA COMTESSE.

« Oh ! oh ! le fils du Corse »
Grondait-il, « j’ignorais qu’il fût de cette force ! »
— « Il ne s’en doutait pas lui-même ! »… Mais ma voix…

LE DUC, voyant du sang à la main de la Comtesse.

Ah ! vous êtes blessée !

LA COMTESSE, secouant dédaigneusement le sang.

Oh ! ce n’est rien,— les doigts !…
… Mais ma voix me trahit : « Une femme ? » Il recule.
— « Défends-toi donc ! » — « Je ne peux pas, c’est ridicule !
Cette femme n’est pas le chevalier d’Éon ! »
— « Défends-toi ! cette femme est un Napoléon ! »
Sentant sa lame, alors, par la mienne rejointe,
Il fonce !… et je lui fais…

FLAMBEAU.

Le coup de contre-pointe !

LA COMTESSE, mimant le coup.

Un ! deux !

FLAMBEAU.

Vous avez dû l’étonner rudement !

LA COMTESSE.

Il ne reviendra pas de son étonnement !

LE DUC, se rapprochant, à voix basse.

Dieu !— mais la jeune fille, alors ?

LA COMTESSE, haussant les épaules, à voix haute.

Que vous importe ?

LE DUC.

Chut !— Est-elle venue ?

LA COMTESSE, après une seconde d’hésitation.

Eh bien… non ! Quand la porte
S’écroula tout à coup sous un poing furieux,
J’étais seule !

LE DUC.

Elle n’est pas venue !— Ah ?…

(Et avec un léger dépit mélancolique.)

Tant mieux !

LA COMTESSE.

Mais des gens arrivaient au bruit. Si l’on m’arrête
Le plan est découvert trop tôt ! Je perds la tête.
Je sors en tâtonnant. J’entends je ne sais qui
Crier d’aller chercher Monsieur de Sedlinsky…
Et je fuis en prenant votre cheval de selle !
— Je l’ai crevé !— je n’en peux plus !…

LE DUC.

Elle chancelle !

(Prokesch et Marmont la soutiennent.)

LA COMTESSE, défaillante.

Après ce que j’ai fait, ah ! j’espérais au moins
Apprendre son départ, ici, par les témoins !…

UN DES CONSPIRATEURS, qui faisait le guet sur la route, accourant, à la Comtesse.

Vous êtes poursuivie ! et dans une minute…

(Mouvement de tous pour fuir.)

LE DUC, criant.

Soignez-la ! cachez-la ! là, dans cette cahute !

(Il montre la cabane que le paysan leur ouvre vivement.)

LA COMTESSE, qu’on emporte à moitié évanouie vers la cabane.

Partez !

LE DUC, interrogeant anxieusement ceux qui l’emportent.

Elle n’a rien ?

LA COMTESSE.

Mais partez donc ! ah ! si
Votre père, Monsieur, pouvait vous voir ici,
Faible, attendri, nerveux, flottant comme vous l’êtes…
Mais cela lui ferait hausser les épaulettes !

LE DUC, s’élançant pour fuir.

Adieu !
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