← Retour

L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

16px
100%

SCÈNE IX

LE DUC, FANNY ELSSLER.

PASSAGE DE MASQUES

LE DUC, se retourne, reconnaît la femme masquée qu’il a accepté tout à l’heure d’attendre là, et avec, maintenant, un recul violent.

Ah ! non !… Cette femme !…
Non ! Je ne veux plus…

FANNY, malicieusement, se démasquant une seconde.

Fuir ?

LE DUC, avec un cri de surprise.

Fanny !— Toi ? — Fuir ?

(Changeant de ton et se rapprochant.)

Comment ?
Quand ?

FANNY, lui désignant du coin de l’œil des couples qui passent.

Feignez avec moi de causer galamment.
C’est grave. Écoutez bien. Mais souriez sans cesse.

(Et elle lui dit en minaudant.)

Votre cousine est là, dans ce bal.

LE DUC, très ému, mais d’un air penché.

La Comtesse ?

FANNY.

Oui.

(Elle prend la main du duc et la met sur son cœur.)

— Tiens, j’ai — comme un soir de première — le trac !
— Elle a sous son manteau ton habit blanc, ce frac
Avec lequel l’Aiglon a l’air d’une mouette !
Elle te ressemblait, déjà, de silhouette,
Mais depuis qu’elle a teint en blond ses cheveux noirs,
Prince, elle te ressemble à tromper les miroirs !
Donc, pendant qu’on jouera,

(Elle montre, à gauche, la porte du petit théâtre.)

là, Michel et Christine,
Tu changes de manteau, vite, avec ta cousine…

LE DUC, comprenant.

Je me masque…

FANNY.

Tu disparais comme en un truc…

LE DUC.

Cependant qu’apparaît un faux duc !

FANNY.

Le faux duc
Sort ostensiblement…

(Elle montre la sortie de gauche.)

LE DUC.

En sortant, me délivre
Des agents qui, dehors, m’attendent pour me suivre…

FANNY.

Rentre à Schœnbrunn…

LE DUC.

S’enferme en ma chambre avec soin…

FANNY.

Et s’éveille si tard demain…

LE DUC.

… que je suis loin !
— Seulement…

FANNY.

Vous voyez un seulement ?

LE DUC.

Énorme !
Si, voyant le faux duc sortir en uniforme,
Quelque masque, croyant me parler, lui parlait ?

FANNY.

Impossible. Tout est réglé comme un ballet.
Pour qu’il sorte sans crainte et puis que tu te sauves,
Douze femmes sont là,— douze dominos mauves
Elles vont, coquetant, riant, jouant de l’œil,
L’accaparer, l’une après l’autre, jusqu’au seuil,
— Et, comme un volant blanc, de raquette en raquette
Le faux duc sortira de coquette en coquette !

UNE BANDE, passant au fond à la poursuite d’un masque à tête de loup.

Quel est ce loup ?

LE LOUP, poursuivi, se retournant vers eux.

Hou ! hou !

(Il disparaît dans le bois.)

LA BANDE, se précipitant alors à la poursuite d’un Triboulet qui passe en gambadant.

Quel est ce fou ?

LE FOU, se sauvant et agitant sa marotte.

Tzing ! tzing !

(Tout disparaît dans des éclats de rire.)

FANNY, reprenant, au duc.

Puis, toi, tu sors du parc…

LE DUC.

Par la porte d’Hietzing ?

FANNY.

Non !

LE DUC.

Par où ?

FANNY.

Prenez garde. On passe.— Je m’évente…
Regardez l’éventail de votre humble servante…

LE DUC.

Eh ! bien ?

FANNY, tout en s’éventant coquettement.

J’ai dessiné dessus le plan du parc.
Voyez-vous le chemin ? En rouge. Il fait un arc.
Suivez-vous ? Les petits carrés blancs sont des marbres,
Et les petits pâtés vert pomme sont des arbres.
On évite, par là, les gardes malfaisants,
On tourne à gauche, on prend du côté des faisans…

LE DUC, les yeux sur l’éventail.

Les hachures, qu’est-ce que c’est ?

FANNY.

C’est quand ça monte,
— On redescend. On tourne au gros triton de fonte.
Et l’on sort Empereur par ce petit portail…
Tout est-il bien compris ? Je ferme l’éventail.

LE DUC, avec une fièvre joyeuse.

Empereur !

FANNY, plaisantant.

C’est cela, le carrosse du Sacre,
Tout de suite !

LE DUC.

Et l’on trouve à ce portail ?

FANNY.

Un fiacre.

LE DUC.

Hein ?

FANNY.

Très bien attelé ! Ne sois pas inquiet !

LE DUC.

Et qui me mène ?

FANNY.

Au lieu de rendez-vous !

LE DUC.

Qui est ?

FANNY.

A deux heures d’ici — c’est vrai, ça vous écarte,—
Mais la comtesse y tient : Wagram !

LE DUC, souriant.

La Bonaparte !
— Et Prokesch ?

FANNY.

Prévenu par moi. Sera là-bas.

LE DUC.

Et Flambeau ? Vais-je le revoir ?

FANNY.

Je ne sais pas.

(Tout en causant, elle l’a conduit vers la gauche. Il y a de ce côté, au pied d’une grande urne antique d’où retombent de longues branches de lierre, un tas de décombres parmi des touffes d’herbe. Un fût de colonne, au coussin de mousse, offre une sorte de siège, et — près d’un fragment de bas-relief posé sur le sol, à plat, comme une large dalle — la tête énorme et barbue d’une statue cassée ouvre ses yeux blancs et sa bouche d’ombre.)

Il faut attendre… Asseyons-nous, au clair de lune,
Vous, sur ce bloc…

(Et elle désigne le fût de colonne.)

Moi, sur la tête de Neptune.

(S’adressant à la tête de pierre, avec une révérence comique.)

Neptune, c’est permis de s’asseoir ?

LA TÊTE DE NEPTUNE, d’une voix caverneuse.

C’est permis !

(Fanny fait un bond en arrière, et la tête ajoute d’une voix cordiale.)

Seulement, vous savez, il y a des fourmis !

FANNY, se réfugiant dans les bras du duc.

Dieu !… la tête qui parle !…

LE DUC, qui comprend et se souvient tout à coup.

Ah ! c’est là, sous le lierre,
C’est vrai, qu’on sort du trou…

LA VOIX, tranquillement.

Par une fourmilière !…

LE DUC, se penchant vers les décombres dont il essaie d’écarter les herbes.

Flambeau !
Chargement de la publicité...