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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE III

METTERNICH, GENTZ, puis un officier français attaché à l’ambassade de France.

METTERNICH.

Bonjour, Gentz.

(Il s’assied devant le guéridon à droite et se met à signer, tout en causant, les papiers que Gentz tire d’un grand portefeuille.)

Vous savez que je rentre aujourd’hui.
L’empereur me rappelle à Vienne.

GENTZ.

Ah ?

METTERNICH.

Quel ennui !
Vienne en cette saison !

GENTZ.

Vide comme ma poche !

METTERNICH.

Oh ! ça, ce n’est pas vrai, car, soit dit sans reproche…
Le gouvernement russe a dû…

(Il fait, du bout des doigts, le geste de glisser de l’argent.)

GENTZ, avec une indignation comique.

Moi ?

METTERNICH.

Soyez franc :
Vous venez de vous vendre encore.

GENTZ, très tranquillement, croquant un bonbon.

Au plus offrant.

METTERNICH.

Mais pourquoi cet argent ?

GENTZ, respirant un flacon de parfum.

Pour faire la débauche.

METTERNICH.

Et vous passez pour mon bras droit !

GENTZ.

Votre main gauche
Doit ignorer ce que votre droite reçoit.

METTERNICH, apercevant les bonbonnières et les flacons.

Des bonbons ! des parfums ! Oh !

GENTZ.

Cela va de soi.
J’ai de l’argent : bonbons, parfums. Je les adore.
Je suis un vieil enfant faisandé.

METTERNICH, haussant les épaules.

Pose encore,
Fanfaron du mépris de soi-même !

(Brusquement.)

Et Fanny ?

GENTZ.

Elssler ?… Ne m’aime pas. Oh ! je n’ai pas fini
D’être grotesque.

(Montrant un portrait du duc de Reichstadt.)

C’est le duc dont elle est folle.
Je suis un paravent qui souffre,— et se console
En songeant qu’après tout il vaut mieux, pour l’État,
Que le duc soit distrait. Je fais donc le bêta :
J’escorte la danseuse en ville, à la campagne.
Elle veut que, ce soir, ici, je l’accompagne
Pour surprendre le duc.

METTERNICH, qui pendant ce temps continue à donner des signatures.

Vous me scandalisez !

GENTZ.

Ce soir la mère sort. Il y a bal.

(Il lui tend une lettre prise dans son portefeuille.)

Lisez.
C’est du fils de Fouché.

METTERNICH, lisant.

Vingt août, mil huit cent trente…

GENTZ.

Il s’offre à transformer…

METTERNICH, souriant.

Bon vicomte d’Otrante !

GENTZ.

… Notre duc de Reichstadt en Napoléon Deux.

METTERNICH, parcourant la lettre.

Des noms de partisans…

GENTZ.

Oui.

METTERNICH.

Se souvenir d’eux.

(Il lui rend la lettre.)

— Notez !

GENTZ.

Nous refusons ?

METTERNICH.

Sans tuer l’espérance !
Ah ! mais c’est qu’il me sert à diriger la France,
Mon petit colonel ! Car de sa boîte — cric !—
Je le sors aussitôt qu’oubliant Metternich
On penche à gauche, et — crac !— dès qu’on revient à droite,
Je rentre mon petit colonel dans sa boîte.

GENTZ, amusé.

Quand peut-on voir jouer le ressort ?

METTERNICH.

Pas plus tard
Qu’à l’instant.

(Il sonne, un laquais paraît.)

L’envoyé du général Belliard !

(Le laquais introduit un officier français en grande tenue.)

Bonjour, Monsieur. Voici les papiers.

(Il lui tend des documents.)

En principe,
Nous avons reconnu le roi Louis-Philippe.
Mais ne donnez pas trop dans le quatre-vingt-neuf,
Ou bien nous briserions la coquille d’un œuf…

L’ATTACHÉ, immédiatement effrayé.

Est-ce une allusion au prince François-Charle ?…

METTERNICH.

Duc de Reichstadt ?… Je n’admets pas, moi qui vous parle,
Que son père ait jamais régné !

L’ATTACHÉ, avec une générosité ironique.

Moi, je l’admets.

METTERNICH.

Je ne ferai donc rien pour le duc. Mais… mais…

L’ATTACHÉ.

Mais ?

METTERNICH, se renversant dans son fauteuil.

Mais si la liberté chez vous devient trop grande,
Si vous vous permettez la moindre propagande,
Mais si vous laissez trop Monsieur Royer-Collard
Venir devant le roi déplier son foulard ;
Si votre royauté fait trop la République ;
Nous pourrons — n’étant pas d’une humeur angélique !—
Nous souvenir que Franz est notre petit-fils…

L’ATTACHÉ, vivement.

Nous ne laisserons pas rougir nos lys.

METTERNICH, gracieux.

Vos lys,
S’ils savent rester blancs, ignoreront l’abeille.

L’ATTACHÉ, se rapprochant et baissant la voix.

On craint que malgré vous l’espoir du duc s’éveille.

METTERNICH.

Non.

L’ATTACHÉ.

Les événements ?

METTERNICH.

Je les lui filtre.

L’ATTACHÉ.

Quoi ?
Ignore-t-il qu’en France on a changé de roi ?

METTERNICH.

Oh ! non ! Mais le détail qu’il ne sait pas encore
C’est qu’on a rétabli le drapeau tricolore.
Il sera toujours temps…

L’ATTACHÉ.

Cela pourrait, c’est vrai,
L’enivrer !

METTERNICH.

Oh ! le duc n’est jamais enivré.

L’ATTACHÉ, un peu inquiet.

Je trouve qu’à Baden sa garde est moins sévère.

METTERNICH, très tranquille.

Oh ! ici, rien à craindre : il est avec sa mère.

L’ATTACHÉ.

Comment ?

METTERNICH.

Quel policier aurait plus d’intérêt
Qu’elle à le surveiller ? Tout complot troublerait
Son beau calme…

L’ATTACHÉ.

Ce calme est peut-être une embûche !
Elle ne doit penser qu’à l’aiglon !…

(La porte des appartements de Marie-Louise s’ouvre.)

MARIE-LOUISE, entrant en coup de vent, avec un cri de désespoir.

Ma perruche !
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