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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE VII

MARIE-LOUISE, BOMBELLES,— LE DUC, derrière un oranger.

BOMBELLES, continuant une conversation commencée.

Était-il
Très épris ?

MARIE-LOUISE, riant.

C’est de lui que vous parlez encore ?

BOMBELLES.

Oui.

LE DUC, d’une voix étranglée.

Bombelles !… ma mère !…

BOMBELLES.

Il vous aimait ?

MARIE-LOUISE, s’asseyant. Bombelles reste debout, un genou sur le banc.

J’ignore.
Mais je sentais très bien que je l’intimidais.
Même sur son estrade aux lauriers d’or pour dais,
Il se sentait moins haut que moi par la naissance ;
Alors, il m’appelait, pour prendre un air d’aisance :
« Bonne Louise » !… eh ! mon Dieu ! oui !… C’était d’un goût !
— J’aime le sentiment !… Je suis femme, après tout !

BOMBELLES.

Avant tout !

MARIE-LOUISE.

C’est mon droit !

(D’un petit ton sec et léger.)

On s’est mis en colère
Pour un mot que j’ai dit quand ce bon Saint-Aulaire
M’annonça le désastre, à Blois. J’étais au lit ;
Mon pied nu dépassait, et sur le bois poli,
Posé comme ces pieds que cisèle Thomire,
Du meuble Médicis faisait un meuble Empire.
Soudain, voyant glisser les yeux de l’envoyé,
Je souris et je dis : « Vous regardez mon pied ? »
— Et malgré les malheurs de sa patrie, en somme,
C’est parfaitement vrai qu’il regardait, cet homme !—
Je fus coquette ?… Eh bien ! le grand crime ! Mon Dieu,
Que voulez-vous ? c’est vrai, je restais femme un peu,
Et dans l’écroulement trop prévu de la France,
La beauté de mon pied gardait son importance !

LE DUC, voulant fuir, mais ne pouvant pas, comme dans un cauchemar, et saisissant l’oranger pour ne pas tomber.

Oh ! je voudrais m’enfuir ! oh ! je reste !

BOMBELLES, se penchant sur le bras de Marie-Louise.

Quel est
Ce caillou gris que vous portez en bracelet ?

MARIE-LOUISE, tout d’un coup très émue.

Ah ! je ne peux le voir qu’avec des yeux humides.
Ça… voyez-vous… c’est un morceau…

BOMBELLES, vivement.

Des Pyramides ?

MARIE-LOUISE, sentimentale.

Mais non, voyons !… C’est un vrai morceau du tombeau
Où Juliette dort auprès de Roméo !

(Elle soupire.)

Ce souvenir me vient…

BOMBELLES, respectueusement crispé.

Vous n’allez pas, de grâce,
Me parler de Neipperg !

MARIE-LOUISE.

Oui, Neipperg vous agace !
Pourquoi parler de l’autre, alors ?

BOMBELLES, avec la conviction d’un homme qui préfère être préféré à Napoléon Ier qu’à Monsieur de Neipperg.

C’est différent !

(Et avec plus de curiosité que de jalousie.)

Vous,— l’aimiez-vous ?

MARIE-LOUISE, qui n’y est déjà plus.

Qui donc ?

BOMBELLES.

L’Autre !

MARIE-LOUISE.

Ça vous reprend ?

BOMBELLES.

Un si grand homme, on doit…

MARIE-LOUISE.

Quant à cela, je nie
Qu’on ait jamais aimé quelqu’un pour son génie !
— Et puis, ne parlons plus de lui, parlons de nous.

(Coquettement.)

Cela vous plaira-t-il, Parme ?

BOMBELLES.

Était-il jaloux ?

MARIE-LOUISE.

Jusqu’à chasser Monsieur Leroy, tailleur-modiste,
Parce qu’en m’essayant un peplum, cet artiste
N’avait pu voir, sans un cri d’admiration,

(Elle a laissé glisser derrière elle, sur le banc, la grande cape qui couvrait sa robe décolletée.)

Mes épaules.

(Et ses épaules, couvertes de diamants, apparaissent.)

BOMBELLES, flatté dans son amour-propre d’homme et dans sa haine de royaliste.

Jaloux ?… Alors, Napoléon…

MARIE-LOUISE, regardant autour d’elle, avec effroi, à ce nom trop indiscrètement prononcé.

Chut !…

BOMBELLES, avec une satisfaction croissante.

… n’aurait pas aimé me voir les trouver belles,
Vos épaules,— ce soir… Il n’aurait pas…

MARIE-LOUISE, le rappelant à l’ordre.

Bombelles !

BOMBELLES, dégustant le plaisir de se venger de la Gloire.

… Aimé m’entendre dire à Votre Majesté…

(Il s’assied sur le banc, près d’elle.)

LE DUC.

Oh ! mon père, pardonnez-moi d’être resté !…

BOMBELLES, regardant l’édifice de nattes à la mode du jour qui coiffe la tête de Marie-Louise d’une sorte de bonnet d’Arlésienne.

… Qu’elle est coiffée un peu comme nos filles d’Arles,
Mais qu’elle est bien plus belle, étant plus blonde…

MARIE-LOUISE, faiblement.

Charles !

BOMBELLES, joignant le geste à la parole.

… Il n’aurait pas aimé que me penchant ainsi…

(Mais ses lèvres n’ont pas atteint l’épaule de Marie-Louise qu’il a été saisi à la gorge, arraché du banc, jeté à terre par le Duc de Reichstadt bondissant et criant.)

LE DUC.

Pas ça ! Je ne veux pas ! Je vous défends !

(Il recule, étonné de ce qu’il vient de faire, épouvanté ; passe la main sur son front, et tout à coup :)

Merci !
Merci ! Je suis sauvé !

MARIE-LOUISE, défaillante.

Franz !

LE DUC.

Car ce cri, ce geste
Ne furent pas de moi !… Moi, toujours, il me reste
Le respect de ma mère — et de sa liberté !
C’est donc… c’est donc Celui dont j’étais habité,
Qui vient, là, hors de moi, de bondir avec force !
Merci ! Je suis sauvé ! C’était un sursaut corse !

BOMBELLES, qui s’est relevé, faisant un pas vers le duc.

Monsieur…

LE DUC, reculant avec une hauteur glaciale.

Rien entre nous !

(Bombelles s’arrête, sentant qu’en effet rien n’est possible entre eux, et le duc, se tournant vers sa mère, la salue profondément.)

Madame, mes respects !
Au palais de Sala retournez vivre en paix !
Ce palais n’a-t-il pas deux ailes, dont une aile
Est un petit théâtre et l’autre une chapelle ?
Vous allez vous sentir, habitant au milieu,
Dans un juste équilibre entre le monde et Dieu !
— Mes respects ! mes respects !

MARIE-LOUISE, d’une voix tremblante.

Mon fils !

LE DUC.

Mais oui, Madame,
Mais oui ! c’est votre droit de n’être qu’une femme !
Allez être une femme au palais de Sala !
Mais dites-vous, dites-vous bien, et que cela
Soit la revanche amère et triste de sa gloire,
— Veuve qui n’a pas su garder la robe noire !—
Dites-vous, désormais, qu’on ne fait les yeux doux
Qu’au prestige immortel qu’il a laissé sur vous,
Et que vous n’êtes belle, et que vous n’êtes blonde,
Que parce qu’autrefois il a conquis le monde !

MARIE-LOUISE, atteinte au plus sensible.

Mais… Bombelles, venez !… ne restons pas ici !…

LE DUC.

Retournez à Sala ! Je suis sauvé ! Merci !

MARIE-LOUISE, qui va pour sortir, suivie de Bombelles.

Adieu, Monsieur !

LE DUC, immobile, ne les regardant plus.

O mains, mains froides, dans la tombe,
O mains tristes encor de leur anneau qui tombe,
Mains où posa le front de celle qui jadis
Sanglotait parce que je n’étais pas son fils,
Mais dont je sens les doigts sur mon âme orpheline,
Je vous baise en pleurant, ô mains de Joséphine !

MARIE-LOUISE, à ce nom se retourne, et laissant éclater une haine de femme.

La Créole !… Et crois-tu donc qu’à la Malmaison
Elle n’a pas ?…

(Et l’on sent que tous les racontars vont défiler…)

LE DUC, d’une voix terrible.

Silence !

(Elle recule intimidée, se tait ; et lui reprend avec force.)

Ah ! si c’est vrai, raison
De plus, raison de plus pour moi d’être fidèle !…

(Marie-Louise gagne la sortie de droite, quittant la fête avec Bombelles. Et le duc reste là, transformé, redressé, frémissant d’indignation et d’énergie,— sauvé comme il vient de le dire. Ce n’est plus, ainsi que tout à l’heure, l’être d’ennui et de volupté, le blondin d’une grâce perverse ; c’est, de nouveau, le jeune homme ardent et douloureux. A ce moment reparaît Metternich, achevant sa conversation avec Sedlinsky.)

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