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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE X

LE DUC, FLAMBEAU.

LE DUC, allant et venant avec agitation.

Soit !… Je partirais bien !… mais la preuve ! la preuve
Que de mon père encor la France se sent veuve !
Elles ont dû mourir, Flambeau, depuis le temps,
Les tendresses pour nous de tous ces braves gens !

FLAMBEAU, lyrique.

Leurs tendresses pour vous ?… Elles sont immortelles !

(Et de sa poche il tire quelque chose de long et de tricolore qu’il fait tournoyer glorieusement au-dessus de sa tête, puis remet dans les mains du duc.)

LE DUC.

Qu’est-ce que c’est que ça, Flambeau ?

FLAMBEAU, tranquillement.

C’est des bretelles.

LE DUC.

Es-tu fou ?

FLAMBEAU.

Regardez ce qu’il y a dessus.

LE DUC.

Mon portrait !

FLAMBEAU.

Ça se porte assez. Les gens cossus.

LE DUC.

Mais, Flambeau !…

FLAMBEAU, lui présentant une tabatière qu’il tire de son gousset.

Voulez-vous accepter une prise ?

LE DUC, interdit.

Je…

FLAMBEAU, lui faisant signe de regarder.

Sur la tabatière, une tête… qui frise.

LE DUC.

C’est moi !

FLAMBEAU, déployant un grand mouchoir de soie comme en vendent les colporteurs.

Que pensez-vous de ce grand mouchoir bleu ?
Hein ! ça fait bien, le Roi de Rome, au beau milieu ?

(Il étale le mouchoir au dossier d’un fauteuil.)

LE DUC.

Mais…

FLAMBEAU, dépliant une sorte d’image d’Épinal.

Image en couleur, pour les murs. Ça se colle.

LE DUC.

C’est encor moi, sur un cheval…

FLAMBEAU.

Qui caracole !
— Et comment trouvez-vous la pipe ?

(Il lui présente une pipe.)

LE DUC, se reconnaissant dans la tête de pipe.

Mais, Flambeau !…

FLAMBEAU.

Ah ! vous ne direz pas que vous n’êtes pas beau !

LE DUC, partagé entre l’émotion et le rire.

Je…

FLAMBEAU, sortant toujours de ses poches d’autres petits objets.

Cocarde !— On la met pour qu’elle soit saisie !

LE DUC.

Qu’est-ce encor ?

FLAMBEAU.

Médaillon. Petite fantaisie !

LE DUC.

C’est toujours moi !

FLAMBEAU.

Toujours !… Et sur ce verre, en mat,
Quels mots a-t-on gravés ?

(Il a tiré un verre des basques de sa livrée.)

LE DUC, lisant sur le verre.

« François, duc de Reichstadt ! »

FLAMBEAU, sortant de sous son gilet une assiette peinte.

Vous ne voudriez pas qu’il n’y eût pas l’assiette…

LE DUC, de plus en plus stupéfait.

L’assiette ?

FLAMBEAU, disposant tout sur la table à mesure que ça sort de ses poches.

Le couteau !— Le rond de serviette !
— Ah ! sur le coquetier, vous avez l’air ravi !

(Il avance un fauteuil.)

Le couvert est complet : Monseigneur est servi.

LE DUC, tombant assis.

Flambeau !

FLAMBEAU, avec un enthousiasme croissant.

Enfin, de tout !— Et des cravates roses
Où l’on vous voit brodé dans des apothéoses !
— Des cartes à jouer dont vous êtes l’atout !

LE DUC, éperdu, au milieu des objets qui pleuvent autour de lui sur la table.

Flambeau !

FLAMBEAU.

Des almanachs !

LE DUC.

Flambeau !

FLAMBEAU.

De tout ! de tout !

LE DUC, éclatant en sanglots.

Flambeau !

FLAMBEAU.

Hein ? vous pleurez ? Nom d’un petit bonhomme !

(Il saisit le foulard qu’il a mis au dossier du fauteuil.)

Essuyez-vous les yeux avec le Roi de Rome !

(Agenouillé près du duc et lui essuyant les yeux avec le mouchoir.)

Moi, je vous dis qu’on bat les fers lorsqu’ils sont chauds ;
Que vous avez le peuple avec les maréchaux ;
Que le roi, le roi même, à cette heure n’existe
Qu’à la condition d’être bonapartiste ;
Qu’en vain, ils ont un coq qui se donne du mal
Pour ressembler, de loin, à l’aigle impérial ;
Qu’on trouve irrespirable, en France, un air sans gloire ;
Qu’une couronne ne tient pas sur une poire ;
Que la jeunesse, autour de vous, va se ranger,
En fredonnant une chanson de Béranger ;
Que la rue a frémi, que le pavé tressaille,
— Et que Schœnbrunn est bien moins joli que Versailles.

LE DUC, debout.

J’accepte… je fuirai…

(On entend une musique militaire, dehors. Le duc tressaille.)

FLAMBEAU, qui a couru à la fenêtre.

Sur l’escalier d’honneur,
C’est la musique de la garde.— L’Empereur
Doit rentrer au château.

LE DUC, dégrisé.

Mon grand-père qui rentre !
Ma promesse !…

(A Flambeau.)

Non ! non ! avant d’accepter…

FLAMBEAU, inquiet.

Diantre !

LE DUC.

Je dois tenter auprès de lui…! Mais si ce soir,
Quand tu viendras ici me garder, tu peux voir
Quelque chose… que tu n’y vois pas d’habitude,
C’est que j’accepte alors de m’enfuir !…

FLAMBEAU, en gamin de Paris.

O Latude !
— Que sera ce signal ?

LE DUC.

Tu le verras !

FLAMBEAU.

Oui, mais…

(La porte s’ouvre. Il s’éloigne vivement du duc et a l’air de ranger dans la pièce. On voit paraître sur le seuil un garde-noble hongrois, rouge et argent, botté de jaune, la peau de panthère sur l’épaule, et le bonnet de fourrure surmonté d’un long plumet blanc à monture d’argent.)

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