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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE X

LE DUC, FANNY, FLAMBEAU, d’abord invisible.
DES MASQUES, de temps en temps.

LA VOIX DE FLAMBEAU, jovialement.

Dans la cachette à Robinson…

UNE BANDE DE MASQUES, qui passe au fond à la poursuite d’un Paillasse.

Ohé !

FANNY, se penchant vivement et mettant sa main sur la bouche de Neptune.

Chut ! des masques !

LES MASQUES, disparaissant.

Bravo ! Très drôle !

(Leurs voix se perdent.)

LA VOIX DE FLAMBEAU, achevant avec le plus grand calme.

Crusoé.

LE DUC.

Quoi ! depuis hier soir ?…

FLAMBEAU, toujours invisible.

Oui, je fume ma pipe…

LE DUC.

Dans ce trou ?…

FLAMBEAU.

Que tu fis à l’instar de ce type,
Inventeur du bonnet à poil, à ce qu’on dit,
Et dont le Mameluck s’appelait Vendredi !

LE DUC, examinant les pierres et les mousses.

Je ne retrouve plus la place exacte !

FLAMBEAU.

A droite !
Juste où je souffle, avec ma pipe, un peu d’ouate !

(Et par une fente de la grosse pierre posée à plat, on voit s’élever une fumée qui se met à floconner dans l’air calme.)

FANNY, la montrant au duc.

Là,— le petit Vésuve !

LE DUC, se penchant vers la pierre, d’un ton désolé.

Oh ! tu dois être…

FLAMBEAU, qui lance les mots entre des bouffées de fumée.

Mal !
Mais

(Une bouffée.)

je vous avais dit

(Une bouffée.)

que je viendrais au bal !

FANNY, regardant autour d’eux, avec inquiétude.

Si l’on nous voit causer avec une fumée !

FLAMBEAU.

Aï !

LE DUC.

Quoi donc ?

FLAMBEAU.

Un retour offensif de l’armée
Fourmi !… Depuis hier, tout le temps on se bat !
— Aï !— Elles ont le nombre et moi j’ai le tabac !

(On l’entend souffler très fort.)

En soufflant la fumée à flots…

FANNY, riant.

Tu les canonnes !

FLAMBEAU, dont la voix se rapproche.

Puis-je lever ma pierre une seconde ?

LE DUC, après avoir regardé si personne ne passe.

Oui !

(Alors un des côtés de la pierre se soulève lentement, entraînant ses tremblantes attaches de lierre, laissant pendre des cheveux d’herbe, et, de l’ombre humide du trou de Robinson, on voit sortir à demi un Flambeau mystérieux et cocasse, l’uniforme verdi, les moustaches pleines de brindilles, le nez terreux, l’œil gai.)

FLAMBEAU, tout en soulevant la pierre, entonnant d’une voix sépulcrale le grand air du dernier succès de l’Opéra.

Nonnes !…

LE DUC et FANNY, précipitamment.

Chut !

FLAMBEAU, s’accoudant au bord moussu du petit souterrain.

J’ai l’air de me mettre au balcon du tombeau !

LE DUC.

Fanny m’a tout conté. C’est pour ce soir, Flambeau !

FLAMBEAU.

Bon !— Craignez Metternich, seulement ! L’œil du maître !

LE DUC.

Il a quitté le bal.

FLAMBEAU, vivement.

Mais pour me reconnaître
Il n’y a plus personne, alors !

FANNY.

Tout ira bien.

FLAMBEAU.

Metternich est parti ?… Vous ne me dites rien ?

LE DUC.

Mais…

FLAMBEAU.

Et vous me laissez, à l’ombre de cette urne,
Prendre un torticolis dans ma petite turne ?

FANNY, vivement.

Des masques !

(Flambeau rentre dans son trou.— La scène est envahie par des masques qui dansent une ronde autour d’un magicien à grande barbe.)

LES MASQUES, cherchant à reconnaître qui se cache sous cette barbe.

C’est Blacas !— C’est Sandor !— C’est Zichy !
— C’est Thalberg !— Non, Thalberg est en mammamouchi !
— C’est Josika !— Non ! c’est…

(Mais le magicien se baissant brusquement et passant sous les mains nouées de deux danseurs, s’échappe. Cris de tous les masques.)

Il fuit ! qu’on le rattrape !

FLAMBEAU, soulevant sa pierre comme un diable le couvercle de sa boîte.

Partis ?

LE DUC et FANNY.

Partis.

FLAMBEAU.

Alors…

(Il sort tranquillement du trou, dont il extrait son fusil et son bonnet à poil.)

LE DUC et FANNY.

Hein ? Quoi ?

FLAMBEAU, remettant la pierre en place.

Baissons la trappe !

LE DUC, épouvanté.

Que va-t-on dire en te voyant ?

FANNY.

C’est effrayant !
Rentrez vite !

FLAMBEAU.

Ce qu’on va dire en me voyant ?

(Les masques reparaissent au fond.)

L’UN D’EUX, apercevant Flambeau, avec enthousiasme.

Et celui-là ! Ho ! ho !— en grognard de l’Empire !

FLAMBEAU, au duc et à Fanny.

Eh bien ! mais le voilà, tenez, ce qu’on va dire !

LES AUTRES MASQUES, s’arrêtant en voyant Flambeau.

Bravo !— Très bien !

FLAMBEAU.

Je suis tranquille maintenant !

(Il remet son bonnet et fume sa pipe. A ce moment, la scène est envahie. Tout le monde revient du bal, car la cloche du théâtre sonne et un laquais vient de suspendre aux branches de la porte une affiche sur laquelle on lit :

MICHEL ET CHRISTINE.
Vaudeville en un acte.
De MM. Eugène Scribe et Henri Dupin.

La plupart des masques, avant d’entrer au théâtre, s’arrêtent pour contempler Flambeau.)

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