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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE III

TOUTES SORTES DE MASQUES, GENTZ, L’ATTACHÉ FRANÇAIS, FANNY ELSSLER, etc. puis TIBURCE et THÉRÈSE DE LORGET.

UN GROUPE DE MASQUES, poursuivant, à travers les colonnades, un masque à grand nez qui se sauve.

Qu’il est drôle !
Ce doit être Sandor !— Non ! non ! c’est Furstemberg !

UN CROCODILE, les arrêtant pour leur montrer quelque chose au-dehors.

Et cet ours, qui, là-bas, valse sur du Schubert !

(Toute la bande se précipite vers le côté où l’Ours est signalé.)

GENTZ, qui s’est assis sur le banc, entouré de plusieurs jolies femmes, et en regardant passer d’autres.

En quoi, la triste Elvire ?

UNE COLOMBINE.

En étoile.

GENTZ, pour lui faire plaisir.

En veilleuse.

LA COLOMBINE.

Et Thécla, l’hypocrite ?

GENTZ, riant.

En Fanchon la Mielleuse.

L’ATTACHÉ FRANÇAIS, traversant la scène à la poursuite de Fanny Elssler.

Pas moyen de savoir quel est ce domino !
Est-ce une Anglaise ?

FANNY, fuyant.

Ya.

L’ATTACHÉ, sursautant.

Une Allemande ?

FANNY.

No !

(Elle disparaît. L’attaché aussi.)

LA COLOMBINE, assise près de Gentz.

Le vicomte est en Doge ?

UNE CLÉOPÂTRE.

Oui… grande dalmatique !…

GENTZ.

Mais alors la baronne est en Adriatique ?

(Tiburce est entré avec Thérèse. Il est en Capitan Spezzafer. Thérèse porte une souple tunique d’un bleu glacé d’argent, sur laquelle retombent des lys d’eau et de longues herbes luisantes : elle est en source.)

TIBURCE.

Ma sœur, vous n’allez plus à Parme ?

THÉRÈSE.

Oh ! Si ! Mais pour
Voir ce bal, la duchesse a retardé d’un jour.

(Montrant une femme masquée qui passe dans le fond, accompagnée d’un homme en domino.)

C’est elle, avec Bombelles… oui… cette cape verte !…

TIBURCE, d’un ton agressif.

Tant mieux que vous partiez ! Noblesse oblige !… et certes
Je n’aurais plus longtemps souffert vos aparté
Avec votre petit Monsieur Buonaparte !

THÉRÈSE, hautaine.

Plaît-il ?

TIBURCE.

Nous nous vantons de ce que nos aïeules
N’aient pas, avec les rois, toujours été bégueules,
Car l’on peut ramasser un mouchoir sans déchoir
Lorsqu’un lys est brodé dans le coin du mouchoir !
Mais l’honneur ne saurait admettre une batiste
Portant la fleur ou le frelon bonapartiste.

(Menaçant.)

Malheur au fils de l’Ogre…

THÉRÈSE.

Hein ?

TIBURCE, galamment ironique.

S’il croquait nos sœurs !

THÉRÈSE.

Mon frère, vous avez des mots…

TIBURCE, avec un petit salut sec.

Avertisseurs.

(Il s’éloigne. Thérèse le suit des yeux, puis, haussant les épaules, se joint à un groupe qui passe.)

UN OURS, entrant avec une Chinoise à son bras.

A quoi donc voyez-vous que je suis diplomate ?

LA CHINOISE.

Mais à votre façon d’arrondir votre patte !

L’OURS, tendrement.

Lorsque vous m’aimerez…

LA CHINOISE, lui donnant un coup d’éventail sur la patte.

Vous vendez votre peau !

(A ce moment passe une énorme personne déguisée en petite bergère Louis XV.)

TOUTES LES FEMMES, qui sont autour de Gentz.

Oh !

GENTZ, avec effroi.

Mais cette bergère a mangé son troupeau !

LE POLICHINELLE, traversant la scène en courant et saisissant la grosse bergère par la taille.

Votre oreille ?

LA GROSSE BERGÈRE, se débattant.

Pourquoi ?

LE POLICHINELLE, mystérieusement.

Mon secret !

(Il l’embrasse et se sauve. On entend sa voix, plus loin, dans les arbres, qui demande à une autre :)

Votre oreille ?

(Gentz et son groupe suivent le Polichinelle, très intéressés. Depuis un instant, le duc est entré avec Prokesch. Prokesch est en habit et domino. Le duc s’enveloppe d’un grand manteau violet. Quand le manteau s’ouvre, on le voit en uniforme blanc. Tenue de bal : bas de soie blanche et escarpins. Il tient à la main son masque dont il s’évente nerveusement. Il s’appuie sur Prokesch qui le regarde avec inquiétude. Il a la figure défaite, le geste découragé, un pli mauvais à la lèvre. On sent que l’Aiglon traîne des ailes meurtries.)

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