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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE XII

LE DUC, FLAMBEAU, FANNY, LA COMTESSE.

FANNY, reparaissant, à Flambeau.

Surveille où l’on en est de la pièce de Scribe !
C’est l’heure !

(Flambeau entre au théâtre. Elle fait un signe au fond et l’on voit venir un jeune homme masqué enveloppé d’un grand manteau brun.)

FLAMBEAU, sortant du théâtre.

En ce moment, plus d’un mouchoir s’imbibe,
Parce que Stanislas est triste et Polonais !

(Il rentre dans le théâtre.)

FANNY, au duc.

Duc, voici la comtesse !

(Le jeune homme se démasque : c’est la comtesse. Ses cheveux, teints en blond, sont coupés et coiffés comme ceux du prince, avec la raie et la grande mèche sur le front. En descendant vers son cousin, elle ouvre son manteau et apparaît svelte et blanche, dans le même uniforme que lui.)

LE DUC.

Oh ! je me reconnais !
C’est moi qui viens vers moi dans l’ombre qui s’étonne !

(Fanny fait le guet.)

LA COMTESSE.

Bonsoir, Napoléon.

LE DUC.

Bonsoir, Napoléone.

LA COMTESSE.

Je suis très calme. Et toi ?

LE DUC.

Je songe aux dangers fous
Que vous allez courir pour moi !…

LA COMTESSE, vivement.

Oh ! pas pour vous !

LE DUC.

Ah ?

LA COMTESSE.

Pour le nom, la gloire, et mon sang sur le trône !

LE DUC, souriant.

Comme tu fais sonner ta cuirasse, Amazone !

LA COMTESSE, avec fierté.

Oui, ce serait moins beau si c’était par amour !

LE DUC, se rapprochant.

Mais, à propos d’amour, lorsque tu seras pour
Me remplacer, ce soir, là-bas… si d’aventure,
Une femme venait…

LA COMTESSE, tressaillant.

Ah ! j’en étais bien sûre !

LE DUC.

Raconte-lui ma fuite ; et tu vas me jurer…

FLAMBEAU, reparaissant sur le seuil du théâtre.

Le vieux soldat se tait…

FANNY.

Bien ! bien !

FLAMBEAU, rentrant dans le théâtre.

… sans murmurer !

LE DUC.

… Si ce soir, elle vient, plus tard de me le dire !

LA COMTESSE.

Quoi ! s’occuper d’un cœur quand, demain, c’est l’Empire !

LE DUC.

C’est parce que demain je vais être Empereur
Que j’attache, ce soir, tant de prix à ce cœur !

LA COMTESSE, brutalement.

D’autres vous aimeront !

LE DUC.

Mais pourrai-je les croire
Comme la triste enfant prête à tomber sans gloire
Qui parce qu’elle veut tomber en consolant,
Viendra ce soir, peut-être, à ce rendez-vous blanc ?

LA COMTESSE, haussant les épaules.

Vous aimerez encor !

LE DUC.

Mais jamais plus, peut-être
A quelque rendez-vous que, plus tard, je puisse être,
Je n’attendrai dans l’ombre et n’ouvrirai les bras
Comme à ce rendez-vous où je ne serai pas !

LA COMTESSE, avec dépit.

Je trouve Votre Altesse extrêmement émue !

LE DUC.

Moins que si tu me dis plus tard : « Elle est venue ! »

FLAMBEAU, reparaissant.

Il faut se dépêcher, car les yeux vers le ciel
Il chante quelque chose à son vieux colonel !

(Le duc et la comtesse se masquent rapidement.)

LA COMTESSE, dégrafant son manteau noir pendant que le duc détache son domino violet.

Changeons vite !

FLAMBEAU, regardant si personne ne sort du théâtre.

Au signal !… Ne craignez rien. Je guette.
Attention !

(Il tire la baguette de son fusil qu’il lève solennellement.)

Par la vertu de ma baguette !…

LA COMTESSE, à Flambeau.

Tu vas, peut-être, faire un César, songes-y !

FLAMBEAU.

C’est pourquoi ma baguette est celle d’un fusil !

(Le duc de Reichstadt est à droite. La comtesse est à gauche. Ils enlèvent simultanément leurs manteaux. Une seconde, il y a, dans un éclair blanc, deux Ducs de Reichstadt. Mais l’échange se fait : le duc s’enveloppe du manteau noir, rabat le capuchon sur sa tête ; la comtesse jette négligemment sur une épaule le domino violet de manière à ne pas cacher l’uniforme et les croix, reste tête nue pour bien laisser voir les cheveux blonds… Et il n’y a plus qu’un duc de Reichstadt, à gauche.)

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