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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE VII

FLAMBEAU, seul.

(Il retire la clef de la seconde porte comme de la première, l’empoche ;— puis, vivement et silencieusement, aux deux portes, rabat d’un coup de pouce la petite pièce de cuivre qui couvre l’entrée de la clef en disant tout bas.)

Et baissons pour la nuit
Les paupières des trous de serrure,— sans bruit !

(Sûr de ne pas être guetté par là, il prête l’oreille une seconde, et se met à déboutonner son habit de livrée.)

LA VOIX DE SEDLINSKY, à travers la porte.

Bonsoir, le Piémontais !

FLAMBEAU, tressaille et recroise d’un mouvement instinctif sa livrée qui commençait à s’ouvrir. Mais un coup d’œil vers les portes bien closes le rassure, et, haussant les épaules, il répond flegmatiquement, en retirant sa livrée qu’il plie et pose par terre, dans un coin.

Bonsoir, Monsieur le comte !

(Il apparaît, déjà moins gros, dans son gilet de livrée, en panne galonnée, à manches. Et il se met en devoir de déboutonner ce gilet.)

LA VOIX DE SEDLINSKY.

Et maintenant, monte la garde !

FLAMBEAU, superbement, en retirant d’un coup le gilet qui le grossissait encore.

Je la monte !

(Il apparaît, maigre et nerveux, sanglé dans son vieux frac bleu de grenadier : les basques relevées par-derrière sous le gilet, retombent ; la silhouette se trouve complétée par la blancheur de la culotte et des bas de livrée.)

LA VOIX DE SEDLINSKY, s’éloignant.

Allons ! C’est bien ! bonsoir !

FLAMBEAU, avec un petit salut ironique de la main vers la porte fermée.

Bonsoir !…

(Il grandit d’une coudée, défripe en deux tapes son uniforme, étire ses bras chevronnés, remonte les épaulettes aplaties ; passe dans ses cheveux coiffés et poudrés le gros peigne de ses doigts écartés pour les relever en héroïque broussaille ; marche vers la console de gauche, saisit parmi les souvenirs qui l’encombrent le sabre-briquet qu’il passe, le bonnet à poil qu’il coiffe, le fusil qu’il fait sauter dans sa main ; s’arrête une seconde devant la haute psyché pour rabattre ses moustaches à la grenadière, gagne en deux enjambées la porte du prince, tombe au port d’armes…)

Et c’est ainsi
Que soudain redressé, délarbiné, minci,
Enfermé jusqu’à l’aube, impossible à surprendre,
Fronçant sous son bonnet son gros sourcil de cendre,
Se tenant dans son vieil uniforme bien droit,
— L’arme au bras et la main contre le téton droit,
Dans la position fixe et réglementaire,—
Gardant le fils ainsi qu’il a gardé le père,
— C’est ainsi que debout, chaque nuit, sur ton seuil,
Se donnant à lui-même un mot d’ordre d’orgueil,
Fier de faire une chose énorme et goguenarde,
Un grenadier français monte, à Schœnbrunn, la garde !

(Il se met à se promener de long en large, dans le clair de lune, comme un factionnaire.)

C’est la dernière fois.

(Avec un coup d’œil sur la chambre du prince.)

Tu ne l’auras pas su.—
C’est pour moi seul. C’est du vrai luxe,— inaperçu !

(Il s’arrête, l’œil jubilant.)

S’offrir un pareil coup pour n’éblouir personne,
Mais pour se dire, à soi tout seul : « Elle est bien bonne ! »

(Il reprend sa promenade.)

A leur barbe !— à Schœnbrunn !… Je me trouve insensé !…
Je suis content !… Je suis ravi !…

(On entend un bruit de clef dans une serrure, à droite.)

Je suis pincé !
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