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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE PREMIÈRE

LE DUC, L’ARCHIDUCHESSE, LE DOCTEUR, LE GÉNÉRAL HARTMANN.

LE DUC, à l’Archiduchesse.

Vous !… Mais je vous croyais malade ?…

L’ARCHIDUCHESSE, avec une gaieté forcée.

Eh ! oui, ma foi !
Je viens d’être malade en même temps que toi.
Je vais mieux. Je me lève.— Et toi ? ton état ?

LE DUC.

Pire,
Puisque vous vous levez pour me voir.

L’ARCHIDUCHESSE.

Tu veux rire !

(Au docteur.)

Votre malade est-il raisonnable, Docteur ?

LE DOCTEUR.

Oui, maintenant il prend bien son lait.

L’ARCHIDUCHESSE.

Quel bonheur !
Ah ! c’est gentil ! ah ! c’est…

LE DUC.

Ah ! c’est dur tout de même,
D’être — lorsqu’on rêva la louange suprême
De l’Histoire, et qu’on fut une âme qui brûlait !—
Loué pour la façon dont on prend bien son lait !

(Il saisit un des bouquets de violettes posés sur la table auprès de lui et le passe avec délice sur sa figure en soupirant :)

O boule de fraîcheur sur ma fièvre posée,
Comme une houppe à se mettre de la rosée !…

L’ARCHIDUCHESSE, regardant les fleurs qui remplissent la chambre.

Tout le monde à présent t’en apporte ?

LE DUC.

Oui.

(Et avec un sourire triste.)

Déjà.

L’ARCHIDUCHESSE.

Chut !…

(Elle échange un regard avec le docteur qui semble l’encourager, et, après une hésitation, se rapprochant du prince, elle commence, d’une voix embarrassée.)

Pour remercier Dieu qui nous protégea
— Car nous entrons tous deux, Franz, en convalescence —
Je compte, ce matin, communier…

(Le duc la regarde. Elle continue, plus troublée.)

Je pense
Qu’il serait très joli que tous les deux…

(Et brusquement.)

Pourquoi
Ne pas communier tout à l’heure avec moi ?

LE DUC, après l’avoir regardée dans les yeux.

Voilà pourquoi tu viens, pieusement coquette.

(A voix basse.)

C’est la fin.

L’ARCHIDUCHESSE, riant.

Là ! j’en étais sûre !… Et l’étiquette ?

LE DUC.

L’étiquette ?

L’ARCHIDUCHESSE.

Mais oui ! Lorsqu’un prince autrichien
Est très mal, on ne peut le tromper. Tu sais bien
Qu’il faut que la Famille Impériale assiste
Lorsqu’il doit recevoir le…

(Elle s’arrête.)

LE DUC.

Le…?

L’ARCHIDUCHESSE.

Pas de mot triste !

LE DUC, regardant autour de lui.

Au fait, nous sommes seuls !…

L’ARCHIDUCHESSE, montrant la porte du fond.

J’ai fait, dans le Boudoir
De Porcelaine, là, dresser un reposoir :
Pas le moindre archiduc, la moindre archiduchesse :
Le prélat de la cour pour nous seuls dit la messe.
Tu vois qu’il ne s’agit que de communier,
Et que ce sacrement n’est pas le…

LE DUC.

Le dernier ?
C’est vrai.

L’ARCHIDUCHESSE.

Tu vois !…

(Elle lui offre gentiment son bras.)

Viens-tu ?…

(Il se lève en chancelant. On entend sonner une clochette à droite.)

Tiens ! la messe commence !

(Le duc, appuyé sur l’Archiduchesse, se dirige vers la porte du petit salon que le docteur et le général Hartmann ouvrent aussitôt.)

LE DUC.

Oui… c’est vrai qu’il faudrait cette illustre assistance !…

L’ARCHIDUCHESSE.

Nous n’aurons que l’enfant de chœur et le prélat !

LE DUC, observant en passant le docteur et le général qui sourient.

Ce n’est donc pas pour aujourd’hui…

(La porte se referme sur l’archiduchesse et sur le prince. Le sourire des deux hommes s’efface. Le général Hartmann va rapidement ouvrir la petite porte dans la tapisserie, et l’on voit entrer silencieusement toute la Famille Impériale.)

LE GÉNÉRAL HARTMANN, bas, aux archiducs et archiduchesses.

Mettez-vous là.

(Un doigt sur les lèvres, il leur fait signe de se placer.)

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