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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE V

Les Mêmes, L’ARCHIDUCHESSE, DES BELLES DAMES, DES BEAUX MESSIEURS, LORD et LADY COWLEY, THALBERG, SANDOR, MONTENEGRO, etc., puis THÉRÈSE, SCARAMPI, UNE DAME D’HONNEUR.

L’ARCHIDUCHESSE, à Bombelles, Metternich, Gentz, Tiburce qui s’avancent cérémonieusement.

Non ! c’est une villa, ce n’est pas un palais !
Pas de façons !

(Le salon est envahi. A un jeune homme.)

Thalberg ! vite, ma tarentelle !

(Thalberg se met au piano et joue. A Metternich, gaiement.)

Sa Majesté ma belle-sœur, où donc est-elle ?

UNE DAME.

Nous venions l’enlever en passant !

UNE AUTRE.

Nous allons
Courir en char à bancs à travers les vallons ;
C’est Sandor qui conduit !

UNE VOIX D’HOMME, continuant une conversation commencée.

Il faut, dans son cratère,
Lui renfoncer sa lave !

L’ARCHIDUCHESSE, se tournant vers le groupe des causeurs.

Oh ! voulez-vous vous taire !

(A Metternich, en riant.)

Ces Messieurs ont parlé tout le temps de volcan !

BOMBELLES.

Ce volcan, quel est-il ?

UNE DAME, à une autre, parlant chiffons.

Cet hiver, l’astrakan ?

(Elles chuchotent.)

SANDOR, répondant à Bombelles.

Mais le libéralisme !

BOMBELLES.

Ah !…

LORD COWLEY.

Ou plutôt la France !

METTERNICH, à l’attaché français, d’un air sévère.

Vous l’entendez ?

UNE DAME, à un jeune homme qu’elle entraîne par le bras vers le clavecin.

Montenegro, votre romance !
Tout bas, rien que pour moi !…

MONTENEGRO, que Thalberg accompagne, chantant tout bas.

Corazon

(Il continue très doucement.)

UNE AUTRE DAME, à Gentz.

Gentz, bonjour !

(Elle fouille dans son réticule.)

J’ai des bonbons pour vous.

(Elle lui donne une petite boîte.)

GENTZ.

Vous êtes un amour !

UNE AUTRE, même jeu.

Un parfum de Paris !

(Elle tire un petit flacon et le lui donne.)

METTERNICH, qui a vu le flacon, vivement à Gentz.

Arrachez l’étiquette !
Eau du duc de Reichstadt !

GENTZ, respirant le parfum.

Ça sent la violette !

METTERNICH, lui arrachant le flacon et le grattant avec des ciseaux pris sur la table.

Si le duc survenait, il verrait qu’à Paris…

UNE VOIX, dans le groupe d’hommes au fond.

Elle redresse encor la tête !

LADY COWLEY.

Nos maris
Parlent de l’hydre !

LORD COWLEY.

Il faut qu’elle soit étouffée !

L’ARCHIDUCHESSE, riant.

C’est un volcan… ou bien c’est une hydre !

UNE DAME D’HONNEUR DE MARIE-LOUISE, suivie par un domestique qui porte sur un plateau de grands verres de café au lait glacé.

Eis-Kaffee ?

(Un autre domestique a posé sur la table un plateau de rafraîchissements : bière, champagne, etc.)

L’ARCHIDUCHESSE, assise, à une jeune femme.

Dis-nous des vers, Olga.

GENTZ.

Si vous lui demandiez
De l’Henri Heine ?

TOUTES LES FEMMES.

Oui ! oui !

OLGA, se levant pour déclamer.

Quoi ? —Les Deux Grenadiers ?

METTERNICH, vivement.

Oh ! non !

SCARAMPI, sortant de l’appartement de Marie-Louise.

Sa Majesté vient dans une minute.

PLUSIEURS VOIX.

Scarampi !

(Salutations.— Rires.— Conversations et froufrous.)

LA VOIX DE SANDOR, au fond, dans un groupe.

Nous irons jusqu’à la Krainerhütte,
Et ces dames prendront sur l’herbe leurs ébats !

METTERNICH, à Gentz, qui parcourt un journal pris sur la table.

Gentz, qu’est-ce que tu lis, dans ton coin ?

GENTZ.

Les Débats.

LORD COWLEY, nonchalamment.

La politique ?

GENTZ.

Les théâtres.

L’ARCHIDUCHESSE.

Bien futile !

GENTZ.

Savez-vous ce qu’on va jouer au Vaudeville ?

METTERNICH.

Non.

GENTZ.

Bonaparte.

METTERNICH, avec indifférence.

Ah ! ah !

GENTZ.

Aux Nouveautés ?

METTERNICH.

Mais non !

GENTZ.

Bonaparte.— Aux Variétés ?… Napoléon.
Le Luxembourg promet : Quatorze ans de sa vie.
Le Gymnase reprend : Le Retour de Russie.
Qu’est-ce que la Gaîté jouera cette saison ?
Le Cocher de Napoléon.—La Malmaison.
Un jeune auteur vient de terminer : Sainte-Hélène.
La Porte Saint-Martin commence à mettre en scène :
Napoléon.

LORD COWLEY, vexoté.

C’est une mode !

TIBURCE, haussant les épaules.

Une fureur !

GENTZ.

A l’Ambigu : Murat ; au Cirque : l’Empereur.

SANDOR, pincé.

Une mode !

BOMBELLES, dédaigneux.

Une mode !

GENTZ.

Une mode, je pense,
Qu’on verra revenir de temps en temps en France.

UNE DAME, lisant le journal par-dessus l’épaule de Gentz avec son face à main.

On veut faire rentrer les cendres !

METTERNICH, sec.

Le phénix
Peut en renaître,— mais pas l’aigle !

TIBURCE.

Quel grand X
Que l’avenir de cette France !

METTERNICH, supérieur.

Non, jeune homme.
Moi, je sais.

UNE DAME.

Parlez donc, prophète qu’on renomme !

L’ARCHIDUCHESSE, faisant le geste de l’encenser.

Ses arrêts sont coulés en bronze !

GENTZ, entre ses dents.

Ou bien en zinc !

LORD COWLEY.

Qui sera le sauveur de la France ?

METTERNICH.

Henri V.

(Avec un geste de pitié.)

Le reste, mode !

THÉRÈSE, debout, dans un coin, doucement.

C’est un nom qu’il est commode
De donner quelquefois, à la gloire, la mode !

METTERNICH, se versant un verre de champagne.

Tant que l’on ne criera d’ailleurs qu’à l’Odéon,
Je crois qu’il n’y a pas…

UN GRAND CRI, au dehors.

Vive Napoléon !

(Tout le monde se lève.— Panique.— Lord Cowley s’étrangle dans son café glacé.— Les femmes, affolées, courent dans tous les sens.)

TOUT LE MONDE, prêt à fuir.

Hein ? — A Baden !— Comment ? — Ici ?

METTERNICH.

C’est ridicule !
N’ayez pas peur !

LORD COWLEY, furieux.

Si tout le monde se bouscule
Parce qu’on crie un nom !

GENTZ, criant gravement.

Il est mort !

(On se rassure.)

TIBURCE, qui était sur le balcon, redescendant.

Ce n’est rien !

METTERNICH.

Mais quoi ?

TIBURCE.

C’est un soldat autrichien.

METTERNICH, stupéfait.

Autrichien ?

TIBURCE.

Même deux. J’étais là. J’ai tout vu.

METTERNICH.

Regrettable !

(A ce moment, la porte de gauche s’ouvre. Marie-Louise apparaît, toute pâle.)

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