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L'Aiglon: Drame en six actes, en vers

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SCÈNE PREMIÈRE

THÉRÈSE, TIBURCE, BOMBELLES, MARIE-LOUISE, LES DAMES D’HONNEUR.

LES DAMES, au clavecin, parlant toutes à la fois, et riant comme des folles.

Elle manque tous les bémols.— C’est un scandale !
— Je prends la basse.— Un, deux !— Harpe !— La… la !…— Pédale !

BOMBELLES, à Thérèse.

C’est vous ?

THÉRÈSE.

Bonjour, Monsieur de Bombelles.

UNE DAME, au clavecin.

Mi… sol…

THÉRÈSE.

J’entre comme lectrice aujourd’hui.

UNE AUTRE DAME, au clavecin.

Le bémol !

THÉRÈSE.

Et grâce à vous : merci.

BOMBELLES.

C’est tout simple, Thérèse :
Vous êtes ma parente et vous êtes Française.

THÉRÈSE, lui présentant l’officier.

Tiburce.

BOMBELLES.

Ah ! votre frère !

(Il lui tend la main, et montrant un fauteuil à Thérèse.)

Asseyez-vous un peu.

THÉRÈSE.

Oh !— je suis très émue !

BOMBELLES, souriant.

Et de quoi donc, mon Dieu ?

THÉRÈSE.

Mais d’approcher tout ce qui reste sur la terre.
De l’Empereur !…

BOMBELLES, s’asseyant auprès d’elle.

Vraiment ? C’est de cela, ma chère ?

TIBURCE, d’un ton agacé.

Les nôtres détestaient Bonaparte jadis !

THÉRÈSE.

Je sais… mais voir…

TIBURCE, un peu dédaigneux.

Sa veuve !…

THÉRÈSE, à Bombelles.

Et peut-être… son fils ?

BOMBELLES.

Sûrement.

THÉRÈSE.

Ce serait n’avoir pas plus, je pense,
D’âme… que de lecture, et n’être pas de France,
Et n’avoir pas mon âge, enfin, que de pouvoir
Ne pas trembler, Monsieur, au moment de les voir.
— Est-elle belle ?

BOMBELLES.

Qui ?

THÉRÈSE.

La duchesse de Parme !

BOMBELLES, surpris.

Mais…

THÉRÈSE, vivement.

Elle est malheureuse, et c’est un bien grand charme !

BOMBELLES.

Mais je ne comprends pas ! Vous l’avez vue ?

THÉRÈSE.

Oh ! non !

TIBURCE.

Non ! on nous introduit à peine en ce salon.

BOMBELLES, souriant.

Oui, mais…

TIBURCE, lorgnant du côté des musiciennes.

Nous avons craint de déranger ces dames,
Dont le rire ajoutait au clavecin des gammes !

THÉRÈSE.

J’attends Sa Majesté, là, dans mon coin.

BOMBELLES, se levant.

Comment ?
Mais c’est elle qui fait la basse en ce moment !

THÉRÈSE, se levant, saisie.

L’Imp…

BOMBELLES.

Je vais l’avertir.

(Il va vers le piano et parle bas à une des dames qui jouent.)

MARIE-LOUISE, se retournant.

Ah ! c’est cette petite ?…
Histoire très touchante… oui… vous me l’avez dite…
Un frère qui…

BOMBELLES.

Fils d’émigré, reste émigré.

TIBURCE, s’avançant, d’un ton dégagé.

L’uniforme autrichien est assez de mon gré ;
Puis, il y a la chasse au renard, que j’adore.

MARIE-LOUISE, à Thérèse.

Le voilà, ce mauvais garnement qui dévore
Tout le peu qui vous reste !

THÉRÈSE, voulant excuser Tiburce.

Oh ! mon frère…

MARIE-LOUISE.

Un vaurien,
Qui vous ruina ! Mais vous l’excusez, c’est très bien.
— Thérèse de Lorget, je vous trouve charmante.

(Elle lui prend les mains et la fait asseoir près d’elle sur la chaise longue. Bombelles et Tiburce se retirent, en causant, vers le fond.)

Vous voilà donc parmi ces dames. Je me vante
D’être assez agréable… un peu triste depuis…
— Hélas !

(Silence.)

THÉRÈSE, émue.

Je suis troublée au point que je ne puis
Exprimer…

MARIE-LOUISE, s’essuyant les yeux.

Oui, ce fut une bien grande perte !
On a trop peu connu cette belle âme !

THÉRÈSE, frémissante.

Oh ! certe !

MARIE-LOUISE, se retournant, à Bombelles.

Je viens d’écrire pour qu’on garde son cheval !

(A Thérèse.)

Depuis la mort du général…

THÉRÈSE, étonnée.

Du général ?

MARIE-LOUISE, s’essuyant les yeux.

Il conservait ce titre.

THÉRÈSE.

Ah ! Je comprends !

MARIE-LOUISE.

… je pleure !

THÉRÈSE, avec sentiment.

Ce titre n’est-il pas sa gloire la meilleure ?

MARIE-LOUISE.

On ne peut pas savoir d’abord tout ce qu’on perd :
J’ai tout perdu, perdant le général Neipperg !

THÉRÈSE, stupéfaite.

Neipperg ?

MARIE-LOUISE.

Je suis venue à Baden me distraire.
C’est bien. Tout près de Vienne. Une heure.— Ah ! Dieu ! ma chère,
J’ai les nerfs !… On prétend, depuis que j’ai maigri
Que je ressemble à la duchesse de Berry.
Vitrolles m’a dit ça. Maintenant je me frise
Comme elle.— Pourquoi Dieu ne m’a-t-il pas reprise ?

(Regardant autour d’elle.)

C’est petit, mais ce n’est pas mal, cette villa.
— Metternich est notre hôte en passant.— Il est là.
Il part ce soir.— La vie à Baden n’est pas triste.
Nous avons les Sandor, et Thalberg, le pianiste.
On fait chanter, en espagnol, Montenegro ;
Puis Fontana nous hurle un air de Figaro ;
L’archiduchesse vient avec l’ambassadrice
D’Angleterre ; et l’on sort en landau… Mais tout glisse
Sur mon chagrin !— Ah ! Si ce pauvre général !…
— Est-ce que vous comptez ce soir venir au bal ?

THÉRÈSE, qui la regarde avec une stupéfaction croissante.

Mais…

MARIE-LOUISE, impétueusement.

Chez les Meyendorff. Strauss arrive de Vienne.
— Bombelles, n’est-ce pas, il faudra qu’elle vienne ?

THÉRÈSE.

Pourrai-je demander à Votre Majesté
Des nouvelles du duc de Reichstadt ?

MARIE-LOUISE.

Sa santé
Est bonne. Il tousse un peu… Mais l’air est si suave
A Baden !… Un jeune homme ! Il touche à l’heure grave :
Les débuts dans le monde !— Et quand je pense, ô ciel !
Que le voilà déjà lieutenant-colonel !
Mais croiriez-vous — pour moi c’est un chagrin énorme !—
Que je n’ai jamais pu le voir en uniforme !

(Entrent deux Messieurs portant des boîtes vitrées. Avec un cri de joie.)

Ah ! c’est pour lui, tenez !
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