Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires
8. — La cabane devient habitable.
Charles s'occupa ensuite de la cabane, qu'il ne pouvait pas laisser plus longtemps réduite à une simple cloison. Si le vent et la pluie ne s'étaient pas modérés, pendant quelques jours et quelques nuits, en faveur de la veuve et des enfants, ils auraient eu beaucoup à souffrir sous leur toit de roseaux. La saison était favorable à un premier établissement. On faisait la cuisine en plein air. La mère couchait avec ses filles dans le seul lit que la famille possédât. On y suspendit, en guise de rideaux, une pièce de toile, produit des épargnes et du travail de la mère, et qu'elle se proposait d'employer plus tard pour les besoins de la famille. En attendant, ce fut un abri de plus contre le vent et la fraîcheur de la nuit. Charles et André, qui voulaient s'aguerrir, couchaient tout simplement sur des feuilles sèches, amassées dans un coin et retenues par une petite claie qu'ils avaient élevée à l'entour. Là ils reposaient côte à côte, enveloppés de la même couverture, et, si l'on pouvait être mieux couché, on ne pouvait pas mieux dormir.
Cependant le mauvais temps était à craindre ; nos gens ne devaient pas être sans inquiétude pour l'avenir, tant qu'ils ne seraient pas mieux abrités. Charles s'occupa donc de cette affaire importante. Le lac avait donné ses roseaux, la rivière eut des joncs au service du jeune architecte. Il éleva, selon ses projets, autour de sa première construction, une seconde paroi, en s'y prenant de la manière suivante : Il planta autour de la cabane, à la distance de trente centimètres, une rangée de baguettes longues et menues, qu'il appuya contre l'avant-toit, où il les fixa aussi solidement que possible. Elles étaient à quinze centimètres les unes des autres. Ensuite il entrelaça les joncs dans ces baguettes, à la façon des vanniers, les joncs se trouvant ainsi couchés horizontalement. A mesure qu'il élevait cette seconde cloison, commencée par le bas, Charles garnissait tout l'intervalle entre l'une et l'autre avec de la mousse, que son frère et ses sœurs l'avaient aidé à recueillir dans les forêts voisines.
Ce qui donna le plus de peine à Charles, ce fut la porte et la fenêtre. Cependant deux planches, unies par trois traverses de bois, formèrent la porte ; deux bandes d'un cuir épais la fixèrent au montant avec des clous. Un verrou de bois à l'extérieur et un autre à l'intérieur tinrent lieu d'abord de serrure et de loquet. Quelques lattes croisées figurèrent le châssis, et six feuilles de papier huilé les vitres de la fenêtre. Elle était aussi portée par deux morceaux de cuir.
Ces bonnes gens, si pauvrement logés, riaient doucement à leur indigence et s'applaudissaient de faire tous les jours quelques progrès. Ne soyons pas trop surpris de leur joie ; moins on possède, plus on espère, et les biens attendus sont ceux dont on jouit le mieux. « Si nous étions à plaindre, disait la mère, des milliers d'hommes le seraient plus que nous, car il y a des nations entières chez lesquelles personne n'est mieux logé, et nous avons le rare avantage d'habiter le pays le plus beau et le climat le plus doux. Mes enfants, combien nous ferions envie aux nègres d'Afrique et aux Lapons de Suède! »
La famille pouvait donc veiller maintenant autour de la table, sans voir la lampe vaciller au souffle de tous les vents. Pleuvait-il, Charles levait de temps en temps les yeux en haut, pour observer la toiture, et s'applaudissait d'avoir su fermer le passage à la pluie. Tout à coup une goutte d'eau tomba sur la mèche, et la lampe s'éteignit. Charles se mit à rire ; toute la famille en fit autant. « Voilà, dit-il, ce qui s'appelle une bonne correction de l'orgueil. » Le lendemain, il doubla son toit ; il étendit sur les roseaux de la paille serrée, en imitant ce qu'il avait vu faire pour couvrir les chaumières. Nos gens se trouvèrent dès lors à l'abri de la pluie aussi bien que du vent.