Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires
3. — Nouveau projet.
Charles disait en lui-même : « Oh! que ces maisons de campagne me plaisent le long du rivage. Mais que de luxe et de magnificence! Je serais heureux à moins de frais. Si nous avions seulement un petit coin comme cette grève, avec une pauvre cabane, nos bras nous donneraient tout le reste ; nous ne quitterions pas le lieu natal, et nous resterions tous ensemble sous le même toit, autour du même foyer. »
En faisant ces réflexions, Charles jeta les yeux sur une forêt de roseaux qui couvraient la plage, à l'embouchure d'une petite rivière. Leurs tiges empanachées, qui murmuraient au souffle du vent, semblaient souhaiter la bienvenue au fils de Susanne, en s'inclinant toutes ensemble de son côté. Ces roseaux secs étaient ceux de l'année précédente, que personne n'avait pris la peine de couper, et déjà la nouvelle génération s'élevait pour leur disputer la place. Si j'étais le maître du lieu où je me trouve, disait en lui-même le jeune garçon, je moissonnerais ces roseaux qui n'appartiennent à personne, j'en ferais une cabane à la manière des sauvages, et je dirais : « Venez, ma mère, nous avons un abri ; avec le temps nous le rendrons plus commode. Le bonheur ne fut pas toujours si bien logé. »
Cette pensée fit battre le cœur de Charles ; il allait et venait sur le bord, observant l'agréable situation du lieu et particulièrement le voisinage de la rivière. Elle avait rongé la terre en plusieurs endroits, et menaçait d'empiéter sur ses rives. « Quel dommage! dit Charles à haute voix, en considérant ces ravages regrettables. — Vous avez bien raison, mon ami, lui répondit M. M…, vieillard aux cheveux blancs, qui avançait la tête à travers les branches de lilas. Que voulez-vous? J'ai été absent plusieurs années ; mes domestiques se sont reposés, et ils ont laissé travailler la rivière. — Monsieur, le terrain que vous perdez ici ferait le bonheur d'une famille. — Et la rivière déborderait, mon ami, et le bonheur de la famille irait au fond du lac. — Oui, monsieur, à moins que le ciel ne vînt à son secours! »
Charles, en faisant cette réponse, avait regardé le vieillard d'un air doux, et sa figure naïve laissait voir assez clairement ce qu'il désirait. — Jeune homme, dit l'inconnu, vous avez bien parlé. Serait-ce pour vous-même que vous regrettez ces terres perdues? — C'est pour ma mère, qui est veuve, et pour ses enfants. — Et vous voudriez? — Les établir ici, monsieur, avec votre permission. — Et la maison? — Je bâtirais une cabane : voilà des roseaux. — Faites! s'écria le voisin, à qui cette idée sourit par sa nouveauté. Mon ami, je vous autorise à fonder ici votre colonie. Je ne souffrirai pas qu'on vous en dispute la jouissance. Respectez ce qui est planté et semé ; vous voyez que ce bosquet en forme la limite : je mets le reste à votre disposition.
A ces mots, le vieillard disparut derrière les arbres, sans laisser à Charles le temps de le remercier. L'inconnu disait à haute voix en se retirant : « Les pauvres gens! une grève, une maison de roseaux! »