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Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires

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24. — Nouveaux progrès.

Deux années s'écoulèrent encore, pendant lesquelles chaque jour fut témoin d'un nouveau progrès. Le Rivage s'était constamment agrandi, Charles ayant réussi de mieux en mieux à discipliner la rivière et à profiter de ses alluvions. Il protégeait ses nouvelles conquêtes par des barrières de plus en plus avancées. Il empruntait au lac même des armes contre lui ; il en extrayait des blocs de granit, qu'on avait amenés autrefois dans ce lieu pour l'usage auquel il les employait. Il s'en fit un rempart, contre lequel les vagues épuisaient leur violence. Deux circonstances accidentelles furent d'un grand secours au jeune colon. On fit à la grande route des réparations, qui exigèrent l'enlèvement de beaucoup de terres. L'ingénieur ne savait où les déposer. Charles indiqua son Rivage, et n'eut qu'à désigner la place où il voulait qu'on transportât ces précieux déblais. Ils furent pour lui un bienfait tout gratuit, comme la pluie pour le jardinier fatigué de ses arrosoirs. Quelque temps après, on bâtit dans le voisinage une maison fort grande ; on eut à faire des excavations considérables : même embarras des constructeurs et même conséquence pour l'heureux Charles. Le Rivage s'étendit de neuf cents mètres carrés, qui s'élevaient au-dessus des plus hautes eaux. Charles, ayant veillé à ce que la terre fertile fût réservée pour la surface, mit sans difficulté et sans délai ces nouveaux terrains en culture.

La maison reçut aussi de l'extention. On bâtit comme une seconde cabane à côté de la première, et l'on eut deux petites chambres de plus. L'ameublement, toujours aussi rustique, se compléta. Cependant Charles fit tout lui-même ; il fut menuisier comme il avait été charpentier et maçon. Ensuite il revêtit les quatre côtés de la cabane avec des planchettes minces, comme celles dont on couvre les toits, à défaut de tuile ou d'ardoise. Elles étaient, dans leur disposition verticale, imbriquées comme les tuiles d'un toit, ou, selon l'observation de Juliette, comme les écailles des poissons : « Ce qui convenait très-bien, disait-elle, à une demeure de pêcheurs. » Dès lors la chaumière ne laissa rien à désirer pour la fraîcheur en été et la chaleur en hiver. Enfin, à l'intérieur, la cloison fut recouverte d'une couche de plâtre, et le danger du feu prévenu par cette amélioration, qu'on avait longtemps désirée. Une peinture d'un jaune clair, qu'un peu d'ocre suffit à produire, donna à la cabane et aux chambres un air gai, qui plaisait à la vue sans la fatiguer.

Autour de la maison les plantations grandirent ; les arbres et la vigne fructifièrent. On voyait là, dans un étroit espace, champ, verger, jardin, vigne, et même un bouquet de bois au bord du lac. Tout cela était un peu serré, pas un pouce de terrain n'était perdu ; mais un ordre parfait ôtait à ces cultures l'apparence de l'encombrement, et leur état prospère réjouissait la vue.

Si les besoins de la famille augmentaient avec l'âge des enfants, leurs forces et leur intelligence croissaient plus rapidement encore. Peu à peu la gêne faisait donc place à l'aisance. André était pour son frère le plus docile et le plus zélé des apprentis. Isabelle s'occupait du ménage, et la bonne mère pouvait rester fidèle à son rouet, avec lequel elle faisait merveilles. Juliette régnait sur la basse-cour et s'employait d'ailleurs à mille petits ouvrages au dedans et au dehors. Le lac suppléait à ce qui pouvait manquer en ressources du côté de la terre. Charles et André ayant aidé, par de prompts secours, à sauver un chargement de vin considérable, qu'un vigneron amenait de l'autre côté du lac, furent pressés par lui d'accepter un témoignage de reconnaissance. — « Eh bien! répondit l'aîné des frères, on dit que les planches et les bois de construction sont moins chers de l'autre côté : procurez-m'en la quantité nécessaire pour construire un bateau un peu plus grand que celui-ci, qui sera bientôt hors de service, et fixez le prix comme vous l'entendrez. — Je ne veux que le plaisir de vous amener ici ce que vous désirez. Je vous dois beaucoup plus. » Telle fut la réponse du vigneron. Au bout de huit jours, il avait rempli sa promesse, et, la même année, Charles et André construisirent leur bateau. Le chanvre que produisit le domaine fournit la matière de la voile et des cordages. La mère et les filles fabriquèrent des filets, et, dès lors, elles eurent du poisson à vendre plusieurs fois la semaine.

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