Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires
40. — L'autre bord.
Ils touchaient à la rive, lorsqu'un autre objet fixa leur attention. Ils virent une petite lumière sur la grève, et distinguèrent bientôt deux hommes, dont l'un portait une lanterne. Un cri partit du bord : Charles y répondit. C'étaient en effet le vigneron et son fils, qui reçurent les exilés avec les témoignages de la plus vive amitié. Ils les aidèrent à débarquer, eux et leur petit troupeau. On tira le bateau sur le sable ; on l'attacha solidement à un pieu ; on cacha les rames sous les broussailles, puis la petite troupe se mit en marche le long du bord. La cabane promise était près de là, à quelques pas du lac. Ce n'était qu'une pauvre cahutte, composée d'une seule pièce, avec un galetas au-dessus. Cependant cette chambre unique, devant servir de cuisine au temps des vendanges, avait une cheminée. Le bon Rodolphe alluma un grand feu de sarments. Il avait apporté un pot de petit vin nouveau et quelques provisions. Nos voyageurs ne touchèrent pas pour le moment à ce qui leur était offert ; mais le feu clair et vif leur fit beaucoup de bien. Rodolphe, jugeant qu'ils avaient grand besoin de repos, se retira avec son fils ; Charles les aida à emmener les moutons et la volaille. Les deux chèvres, indispensables au déjeuner, restèrent avec Minet et Caniche, qui, retrouvant le coin du feu, n'avaient pas demandé, pour se blottir devant, sur quelle rive ils étaient. Charles revint au bout d'un quart d'heure, la maison de Rodolphe n'étant pas éloignée. Alors la veuve et les enfants se couchèrent, tout habillés, l'un sur un matelas, l'autre sur la paille, et tous finirent par trouver le sommeil.
Le réveil fut pénible. Le jour naissant n'éclairait que des objets qui parlaient à nos amis de leur infortune ; ils se trouvaient tout dépaysés, et, malgré le voisinage du lac, ils se croyaient dans un monde nouveau ; ils voyaient loin d'eux ce qui les avait toujours environnés, et il leur semblait toucher de la main ces montagnes, qu'ils n'avaient contemplées que de loin pendant toute leur vie. La vigne effeuillée et des murailles arides pressaient de tous côtés leur triste demeure ; plus de jardin, de verger, de fontaine. Au Rivage, ils n'avaient non plus qu'une cabane, mais quelle différence de ce petit ménage, où chaque chose était si bien casée à sa place, avec le pêle-mêle affreux qui les entourait! Cette confusion d'objets entassés jetait dans leurs esprits le trouble et l'inquiétude ; les soucis d'un avenir incertain rendaient bien plus pénible leur condition présente. Jetés pour quelques semaines peut-être dans ce nouveau gîte, oh! comme ils regrettaient le moment, d'ailleurs si difficile, où ils étaient venus s'établir dans la chétive cabane de roseaux, avec de si belles espérances!
La veuve dit enfin à la famille découragée :
« Lorsqu'on détruit un nid d'hirondelles, les pauvres oiseaux voltigent et crient quelques moments alentour, et bientôt ils recommencent à bâtir une nouvelle maison : aurons-nous moins de courage que les hirondelles? Nous ne passerons ici, je l'espère, qu'un temps fort court ; cependant il faut sortir de la confusion où nous sommes, et mettre un peu d'ordre dans tout ceci. » Alors ils se mirent à l'ouvrage ; ils remplirent de foin et de paille le galetas, en y ménageant une place, que Charles et André se réservèrent, afin de laisser la chambre toute entière à la mère et aux sœurs. On casa, on empila comme on put dans cette chambre, fort petite, le modeste mobilier. Il se trouva tout à côté pour les chèvres un petit abri, qui servait à serrer des outils dans la saison des travaux.