← Retour

Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires

16px
100%

9. — Un fourneau.

Jusqu'alors ils avaient fait la cuisine en plein air. Un jour le temps fut si mauvais, qu'on essaya d'allumer du feu au milieu de la cabane. Cela n'était pas sans danger, et puis la fumée ne trouvait d'issue que par la porte et la fenêtre : on n'y tenait pas.

Charles avait prévu cet inconvénient, et il avait fait provision de pierres plates, recueillies surtout au bord du lac ; il avait découvert un gisement de terre glaise ; il ne lui manquait rien pour construire un fourneau de cuisine ; mais comment donnerait-il passage à la fumée? Acheter des tuyaux de fer, il n'y fallait pas penser ; on devait ménager soigneusement les petits sous gagnés avec le rouet, et par d'autres moyens dont nous parlerons plus tard en détail. Avant tout, il fallait du pain, et, quoique la colonie se réduisît à la plus simple nourriture, elle n'avait pas toujours ce que bien des pauvres croient nécessaire. Charles se disait donc en allant et en venant : « Comment ferai-je la cheminée? »

Un jour il vit, dans le voisinage, des ouvriers qui établissaient un nouveau canal pour une fontaine ; l'ancien était en tuyaux de grès, qu'on remplaçait par une conduite de plomb. Il remarqua avec chagrin qu'on avait déjà brisé plusieurs de ces tuyaux, en les jetant au chemin, comme des objets inutiles. Un ouvrier allait traiter sans plus de ménagement celui qu'il tenait à la main, lorsque Charles lui dit : « Donnez-le-moi plutôt, je peux en tirer quelque service. » En effet, le diamètre avait une dimension plus que suffisante. On lui dit d'en prendre autant qu'il voudrait. Fort content de cette trouvaille, il emporta chez lui son trésor, et il se mit aussitôt à l'ouvrage.

Cette construction qui rappela, il faut le dire, les plus grossiers essais dans ce genre, aurait pu tout aussi bien s'appeler un poële ou une cheminée qu'un fourneau. La base ou le foyer, assez large, formait en avant une saillie, sur laquelle on pouvait tirer la braise au besoin. L'ouverture se fermait à volonté, en tout ou en partie, à l'aide d'une pierre plate et mince, qu'on poussait de côté si l'on voulait voir le feu ou rendre le tirage moins fort. Mise en place, elle donnait passage à l'air par une étroite échancrure du bord inférieur. Les côtés du fourneau se composaient de deux petits murs en assises de pierres égales, unies au moyen de l'argile ; le mur du fond était un peu plus fort. Une large pierre de grès tendre recouvrait le tout. Charles y pratiqua, non sans peine, deux ouvertures, à l'aide d'un ciseau à pierre. L'une fut taillée à la mesure de la marmite, et l'autre à celle du tuyau de grès, destiné à former la cheminée. Les autres tuyaux, ajustés sur le premier, furent garnis de glaise aux jointures. Pour plus de solidité, des fils d'archal, fixés dans la cloison, embrassèrent le canal de distance en distance. Un des pots s'éleva au-dessus du toit, à la façon d'une cheminée. Pour diminuer dans l'intérieur le danger du feu, Charles, avant de construire le fourneau, avait élevé par derrière, jusqu'à une certaine hauteur, un revêtement de pierre et de glaise contre la paroi de roseaux.

Quand l'ouvrage fut achevé, on en fit l'essai, et il réussit beaucoup mieux que le maçon ne l'avait espéré. Avec quel plaisir on vit briller la flamme! Comme on fut charmé, quand on reconnut que la fumée prenait la bonne route! Les enfants coururent dehors, pour la voir s'élever au-dessus de la chaumière. André fut si ravi à ce spectacle, qu'il en poussa des cris de joie et se jeta au cou de son frère ; la mère et les sœurs l'embrassèrent à leur tour, et Charles dit : « Me voilà bien payé de ma peine! »

Dès ce moment la famille Baudry se crut logée tout de bon. Elle pouvait goûter les plaisirs du foyer. Charles avait construit le fourneau : les petits se chargèrent de procurer le bois. Il y avait dans le voisinage plus d'une forêt où les pauvres gens avaient la permission de ramasser le bois mort : André et ses sœurs les parcouraient souvent. D'ailleurs le lac et la rivière apportaient sans cesse quelques débris flottés, qui appartenaient au premier occupant, et nos gens étaient placés on ne peut mieux pour jouir de cet avantage ; ils eurent donc bientôt une provision de bois, qu'ils empilèrent derrière la cabane. Le toit formait, de ce côté, une large saillie, soutenue par quelques appuis : c'était la remise et le bûcher.

Chargement de la publicité...