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Les Colons du Rivage, ou Industrie et Probité: Ouvrage destiné a servir de lecture courante dans les écoles primaires

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30. — Nouvelles exigences.

En effet, il se montrait chaque jour plus injuste et plus insolent. Il avait imposé un tribut sur la pêche : il en mit un sur les cultures. Et, comme il avait de tout en abondance dans la maison de son maître, où il faisait ce qu'il voulait, s'il mit à contribution le jardin et le verger du Rivage, ce n'était pas qu'il en eût besoin ; c'était seulement afin de tourmenter ses malheureux voisins et de leur faire sentir le joug. La manière dont il prélevait ce qu'il appelait le droit du maître était plus odieuse que le tribut même. Il entrait sans façon dans la petite ferme, s'y promenait en long et en large, comme pour narguer nos colons, et, sans les prévenir, il cueillait les fruits ou les légumes qu'il trouvait à sa convenance. Les Baudry avaient-ils élevé un produit d'élite? au moment où ils pensaient recueillir le fruit d'un long travail, ils voyaient le seigneur intendant l'enlever sous leurs yeux. Il croyait leur faire grâce en leur abandonnant le reste. « Mes pêches! disait Charles désespéré. — Mes choux-fleurs! » s'écriait André en s'arrachant les cheveux. Isabelle et Juliette n'étaient pas plus épargnées. Cravel prélevait sa part sur leur volaille et leurs œufs : un oiseau de proie fait moins de ravages. Quand elles se voyaient ainsi dépouillées, elles rentraient chez elles aussi désolées que leurs frères. La veuve, tout affligée, disait à ses malheureux enfants : « Oui, cet homme nous fait beaucoup de mal ; on le dirait poussé par le démon pour se perdre lui-même et nous avec lui. Résistez à la tentation, mes enfants ; ne haïssez pas, ne maudissez pas. D'autres ont pardonné de plus cruelles injures. J'ose à peine vous dire : « considérez le divin modèle, » car vous trouverez que ces petites persécutions ne sont rien auprès de ce qu'il a souffert. »

C'est ainsi que la pieuse mère exhortait sa famille. Aux heures de la veillée, après une journée que le méchant avait assombrie, lorsque nos amis gémissaient autour de la table, Susanne profitait du calme de la nuit pour verser le baume dans les cœurs ulcérés. Elle disait : « Nos premières prospérités sont interrompues, mais l'adversité sera aussi passagère. Laissons-la, sans murmure, s'asseoir à notre foyer, et mettons à profit sa présence. Le bonheur n'exige que des vertus faciles, qui ne suffisent pas pour nous ouvrir le ciel ; le Seigneur attend de nous davantage, c'est pourquoi il permet que nous soyons affligés. Encore une fois, ne maudissez pas la verge dont il vous châtie. Celui qui sert d'instrument à la colère divine est plus à plaindre que nous. Cette colère, nous l'avons méritée, car nous faillissons tous. Demandons grâce à Dieu, mes enfants ; ne lui demandons pas justice : ce serait prononcer nous-mêmes notre condamnation. »

Voilà les réflexions touchantes que l'esprit de l'Évangile inspirait sous le chaume à une pauvre femme ; des enfants comprenaient ce langage, et tous ensemble priaient d'un cœur sincère pour leur infatigable persécuteur.

N'essayons pas d'expliquer les mystères de Dieu. La présence du mal sur la terre, les souffrances du juste, nous étonnent et révoltent notre raison : voyez pourtant, après le recueillement et la prière, nos amis affligés : ils ont retrouvé la paix, ils causent doucement, ils sourient : l'affliction même, en resserrant le lien qui les unit, leur fait goûter de nouveaux plaisirs ; il faut avoir pleuré ensemble pour connaître le plus doux charme de l'amitié. La veuve et ses enfants nous semblaient à plaindre : jugeons-en mieux, nous les trouverons dignes d'envie.

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